13e janv: 1765 à Ferney
Vous jouez un beau rôle, Monsieur, vous êtes toujours le protecteur de l'innocence opprimée.
Vous avez dû être aussi bien reçu en Angleterre qu'un juge des Calas le serait mal. Une nation ennemie des préjugés et de la persécution était faitte pour vous. Je n'ose me flatter que vous fassiez aux alpes et au mont Jura le même honneur que vous avez fait à la Tamise, mais je crois que j'oublierais ma vieillesse et mes maux, si vous faisiez ce pélerinage. Je cherche actuellement les moiens de vous faire parvenir quelques livres assez curieux qu'on m'a envoiés de Hollande. Le commerce des pensées est un peu interrompu en France. On dit même qu'il n'est pas permis d'envoier des idées de Lyon à Paris. On saisit les manufactures de l'esprit humain comme des étoffes déffendues. C'est une plaisante politique de vouloir que les hommes soient des sots et de ne faire consister la gloire de la France que dans l'opéra comique. Les Anglais en sont ils moins heureux, moins riches, moins victorieux pour avoir cultivé la philosophie? Ils sont aussi hardis en écrivant qu'en combattant, et bien leur en a pris. Nous dansons mieux qu'eux, je l'avoue, c'est un grand mérite, mais il ne suffit pas. Loke et Neuton valent bien Dupré et L'Ally.
Mille respects à vôtre aimable femme qui pense. Conservez moi vos bontés.
V.