1er Janvier 1765 à Ferney
Mon cher philosophe, je vous assure que je ne prends aucun intérêt au livre dont vous me parlez. Je cultive mes champs et je m'embarasse fort peu de ce qu'on écrit et de ce qu'on fait ailleurs. Je suis assez embarassé de mes affaires sérieuses, et je n'ai guères le temps de me mêler des petits amusements dont vous me faittes part. Tout ce que je sais bien certainement, c'est que le livre en question est de plusieurs mains. Il y a plus de deux mois que le hazard a fait tomber entre les miennes quelques manuscrits de l'ouvrage.
Un de ces articles est écrit de la propre main d'un des premiers pasteurs de vôtre religion réformée, ou prétendue réformée. Tout celà vous regarde, et non pas moi; je ne suis qu'un pauvre cultivateur qui vous aime tendrement, et qui ne dispute jamais. Quand vous serez Turc je chanterai Allah avec vous; quand vous serez paien je sacrifierai avec vous aux muses: tous les hommes sont frères, et les meilleurs frères sont ceux qui cultivent les lettres. Je suis très fraternellement à vous pour ma vie.
V.