1760-05-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Chennevières.

Mon cher correspondant, vous faittes saigner le coeur par ce que vous dites de Mgr le Duc de Bourgogne; il parait qu'on doit s'attendre à le perdre; on prétend, pour comble de malheur que mr le Duc de Berry est attaqué de la même maladie; je veux ne le pas croire; de telles nouvelles sont trop affligeantes pour tous les bons citoyens.
Je pense qu'il y aura des batailles avant que le prétendu congrès de Breda s'assemble. Je pense que si les Anglais nous donnent la paix, ce ne sera qu'à des conditions bien dures. Je pense que nous avons été bien malheureux; je pense que l'idée d'une descente en Irlande était très bonne, mais qu'il fallait avoir cinquante vaisseaux de ligne bien commandez; à force de penser à tout celà, je ne pense plus.

J'ai lû Spartacus que mr Saurin m'a envoyé; la pièce n'est pas touchante, mais il y a de belles choses; on veut à toute force en joüer une de moi où il y a des endroits très touchants, mais qui ne vaut rien; je ne m'en embarasse guères, j'ai pris mon parti sur toutes les sottises de ce monde et sur les miennes.

Voulez vous bien permettre que cette Lettre passe par vous, pour aller à Mr Saurin? Spartacus ne lui a pas assez valu pour qu'il lui en coûte des ports de Lettres de cent lieües.

Les Délices vous embrassent vous et la sœur du pot.

V.