Enfin, me voici chez le roi de Garbe; car jusqu'à présent, j'ai voyagé comme sa fiancée. Ce n'est qu'en le voyant, que je me suis reproché le temps que j'ai passé sans le voir. Il m'a reçu comme votre fils, & il m'a fait une partie des amitiés qu'il voudrait vous faire. Il se souvient de vous, comme s'il venait de vous voir, & il vous aime, comme s'il vous voyait. Vous ne pouvez point vous faire d'idée de la dépense & du bien qu'il fait. Il est le roi & le père du pays qu'il habite; il fait le bonheur de ce qui l'entoure, & il est aussi bon père de famille que bon poète. Si on le partageait en deux, & que je visse d'un côté l'homme que j'ai lu, & de l'autre, celui que j'entends, je ne sais auquel je courrais. Ses imprimeurs auront beau faire, il sera toujours la meilleure édition de ses livres.
Il y a ici madame Denis, & madame Dupuis née Corneille. Toutes deux me paraissent aimer leur oncle. La première est bonne de la bonté qu'on aime; la seconde est remarquable par ses grands yeux noirs & un teint brun; elle me paraît tenir plus de la corneille que du Corneille.
Au reste, la maison est charmante, la situation superbe, la chère délicate, mon appartement délicieux; il ne lui manque que d'être à côté du vôtre; car, j'ai beau vous fuir, je vous aime; & j'aurai beau revenir à vous, je vous aimerai encore.
Voltaire m'a beaucoup parlé de papa, & comme j'aime qu'on en parle; il a beaucoup recherché dans sa mémoire l'abbé Porquet qu'il a connu autrefois, mais, il n'a jamais pu le retrouver. Les petits bijoux sont sujets à se perdre.
Adieu, ma belle, ma bonne, ma chère mère; aimez moi toujours beaucoup plus que je ne mérite, ce sera encore beaucoup moins que je ne vous aime.
Voici un impromptu que j'ai fait dernièrement. J'arrivais chez une belle dame crotté et mouillé; elle me proposa de me faire donner des souliers de son mari: