[c. 5] 9bre 1764 aux Délices
Madame l'ange est suppliée d'être l'arbitre entre m. de Foncemagne et moi; si elle me condamne je me tiens pour très bien condamné.
Je sais bien que j'ai affaire à forte partie, car c'est plutôt contre madame la duchesse d'Aiguillon et m. le maréchal de Richelieu que contre m. de Foncemagne que je plaide. Il me semble que le procès est assez curieux.
Quant au portatif je ne plaide point et je décline toute juridiction. Il est très avéré, que cet ouvrage (horriblement imprimé, quoiqu'il ne l'ait pas été chez les Crammer) est fait depuis plusieurs années, ce qui est très aisé à voir, puisqu'à l'article chaîne des événements, page 70, il est parlé de soixante mille Russes en Poméranie.
Il n'est pas moins certain que la plupart des articles étaient destinés à l'encyclopédie, par quelques gens de lettres, dont les originaux sont encore entre les mains de Briasson. S'il y a quelques articles de moi, comme Amitié, Amour, Anthropophages, Caractère, la Chine, Fraude, Gloire, Guerre, Lois, Luxe, Vertu, je ne dois répondre en aucune façon des autres. L'ouvrage n'a été imprimé que pour tirer de la misère une famille entière. Il me paraît fort bon, fort utile, il détruit des erreurs superstitieuses que j'ai en horreur, et il faut bénir le siècle où nous vivons qu'il se soit trouvé une société de gens de lettres et dans cette société des prêtres qui préchent le sens commun. Mais enfin je ne dois pas m'approprier ce qui n'est pas de moi. L'empressement très inconsidéré de deux ou trois philosophes de Paris, de donner de la vogue à cet ouvrage au lieu de ne le mettre qu'en des mains sûres m'a beaucoup nui. Enfin, la chose a été jusqu'au roi qu'il fallait détromper, et vous n'imagineriez jamais de qui je me suis servi pour lui faire connaitre la vérité. Je n'ai pas les mêmes facilités auprès de maître Omer mon ennemi, qui me désigna indignement et très mal à propos il y a quelques années dans son réquisitoire contre Helvetius. Son frère l'ancien intendant de Bourgogne a fait venir le livre pour le lui remettre, et pour en faire l'usage ordinaire.
Cet usage ne me paraît que ridicule, mais il est pour moi de la dernière importance qu'on sache bien qu'en effet l'ouvrage est de plusieurs mains, et que je le désavoue entièrement. C'est le sentiment de toute l'académie. Je lui en ai écrit par le secrétaire perpétuel. Quelques académiciens qui avaient vu les originaux chez Briasson, ont certifié une vérité qui m'est si essentielle. Au reste j'ai pris toutes mes mesures depuis longtemps pour vivre et mourir libre, et je n'aurai certainement pas la bassesse de demander, comme m. d'Argenson, la permission de venir expirer à Paris entre les mains d'un vicaire. Un des Omer disait qu'il ne mourrait pas content qu'il n'ait vu pendre un philosophe; je peux l'assurer que ce ne sera pas moi qui lui donnerai ce plaisir.
Soyez bien persuadée, madame, que d'ailleurs toutes ces misères ne troublent pas plus mon repos que la lecture de l'Alcoran ou celle des pères de l'église, et soyez encore plus persuadée de mon tendre et inviolable respect.
Voulez vous bien, madame, donner à m. de Foncemagne ma réponse dans laquelle je ne crois avoir manqué à aucun des égards que je lui dois?
No: Je reçois la petite lettre de m. le duc de Praslin. C'était, ne vous déplaise, m. l'évêque d'Orléans qui avait déjà parlé, mais je préfère la protection de m. le duc de Praslin à celle de tout le clergé. Pour m. le duc de Choiseul, il m'a écrit, Vieux Suisse, vieille marmotte, vous vous agitez comme si vous étiez dans un bénitier, et vous vous tourmentez pour bien peu de chose.
Je ne suis pas tout à fait de son avis,