1764-10-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Auguste Desboulmiers.

Je vous aurais fait mes remerciements, Monsieur, à la réception de vôtre lettre, je vous aurais dit combien elle m'a charmé, et à quel point elle m'honore, si je n'étais pas attaqué d'une fluxion sur les yeux qui m'ôte l'usage de la vue, pendant quatre ou cinq mois de l'année, et qui est accompagnée d'une maladie cruelle.
Vous parlez d'archives du goût, les vers qui sont dans vôtre Lettre sont une pièce de ces archives. Le triste état où je suis ne me permet pas d'y répondre, mais ne m'empêche pas d'en sentir le prix. Si vous avez beaucoup de pièces aussi joliment écrites, je ne vous conseille pas d'en chercher d'autres. Les ouvrages parfaits sont rares, et les ouvrages médiocres dans lesquels il y a de jolies choses sont inombrables. Nous avons une profusion de tout, et surtout de journaux, et le dégoût a un peu suivi cet éxcez d'abondance, mais le bon sera toujours prétieux.

Je vous félicite, Monsieur, de faire vôtre amusement des belles Lettres, dans le loisir de la paix. Oserais-je vous supplier de présenter mes respects à Mr le Comte De Turpin, qui joint tant d'autrés mérites au mérite militaire. Je vous dois les mêmes éloges, et j'ai l'honneur d'être avec l'estime la plus respectueuse, Monsieur, Vôtre très humble et très obéissant serviteur.

Voltaire