27^e avr[il 1771]

Je ne sais pas ce qui arrivera, mon cher ami, mais goûtons toujours le plaisir d’avoir vu chasser les Jésuites, et d’avoir vu ensuite chasser les assassins . . . .
Et ego in interitu vestro ridebo vos et subsanabo, dit la Sainte-Ecriture.

J’avais envoyé à la chambre sindicale, avec laquelle je n’ai pas grand commerce, trois volumes d’un livre nouveau qui m’est venu de Hollande, intitulé questions sur l’enciclopédie, adressés à Briasson, pour les remettre à M^r le Marquis de Condorcet. Je ne sais si Briasson m’a rendu ce petit service. Celà pouvait passer pourtant pour ma dernière volonté, car j’ai été très malade. Je crois avoir perdu entièrement les yeux, et je serai aveugle jusqu’à ce que je sois mort tout à fait.

Je viens de voir, ou plutôt de me faire lire, dans le journal encyclopédique L’épître au Roi de Dannemark, non pas telle que vous l’avez, mais telle que je l’ai envoiée à ce monarque avec un petit bout de lettre qui accompagnait l’envoi. Cela vient sûrement de Copenhagen. Le mal est très médiocre.

Pouriez vous me dire quel est l’auteur d’un éloge de l’abbé Trublet qui est dans le même journal enciclopédique d’avril? Ce journal là ne vaut pas le dictionaire enciclopédique.

Savez vous qu’on a déjà imprimé quatre tomes du dictionaire d’Yverdun? Plusieurs articles de M^r de La Lande qui paraissent à la lettre A. Mon état ne m’a pas permis de les lire.

Voudriez vous bien avoir la bonté de me mander si on a imprimé à Paris un recueil des ouvrages de M^r de Mairan?

Je voulais écrire aujourd’hui à M^r de s^t Lambert, mais je ne sais si ma faiblesse me le permettra.

Adieu, mon très cher philosophe; j’ai bien peur que la philosophie n’ait pas plus beau jeu que l’ancien parlement de Paris. Les adeptes font fort bien de se tenir tranquiles. Vous savez que j’aplaudis au choix qu’on a fait de M^r L’abbé Arnaud. Si ce n’est pas à moi que l’abbé de Lille succède quelque jour, j’aplaudirai aussi, car j’aime toujours les vers. On meurt comme on a vécu.