1764-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Vous me trouverez, mon cher Monsieur, plus de vérité que de vanité.
Je suis obligé de vous avouer que dans le moment présent je vous servirais très mal en écrivant à la personne à laquelle vous voulez que j'écrive. Je me trouve dans des circonstances qui doivent me faire garder le silence pendant quelque temps; tous les moments ne sont pas également favorables. Je serai à vos ordres assurément toute ma vie; mais actuellement je les exécuterais fort mal. Gardez vous de vous accrocher à un roseau cassé, lorsque vous avez de si bons appuis. Je vous avoue ma misère, je n'en rougis point, mais j'en suis très fâché. Tout va de travers pour moi depuis quelques jours, je m'enveloppe dans ma petite philosophie, mais je vous suis cent fois plus attaché que je ne suis philosophe. Ma nièce partage tous mes sentiments pour vous. Conservez vos bontés au vieux Français moitié suisse, moitié genevois, qui se trouve le cu par terre entre trois selles.