25e avril 1764
Je reçois, mes divins anges, la Lettre du 19 avril, qui n'est point du tout griffonée, et que mes beaux yeux d'écarlate ont très bien lue.
Nous sommes pénétrés Maman et moi, de vos bontés angéliques, et de celles de Monsieur le Duc De Praslin. Il est vrai que nous sommes un peu embarassés avec le parlement de Dijon, parce que si nous lui disons nôtre affaire est au conseil, nous l'indisposons; si nous demandons des délais, nous semblons nous soumettre à sa jurisdiction; Mr le 1er présidt ne peut refuser plus longtemps de mettre la cause sur le rolle; je m'abandonne à la miséricorde de Dieu.
Pour l'affaire des roués, elle est toute prête, et j'ose croire qu'ils vaudront mieux qu'ils ne valaient. J'attends vôtre copie pour la charger d'énormes cartons, depuis le commencement jusqu'à la fin.
Honneur et gloire aux auteurs de la gazette Littéraire. Qu'ils retranchent, qu'ils ajoutent, qu'ils adoucissent, qu'ils observent les convenances que je ne peux connaître de si loin; tout ce que j'envoie leur appartient, et non à moi. Je me suis adressé à Cramer pour L'Espagne et l'Italie, mais je n'ai rien du tout.
Je suis toujours enchanté de la discrétion de mr De Chimène; mais je vous assure que ses attentions charmantes ne diminuent en rien ma sensible reconnaissance pour mes anges. Si j'osais les suplier de faire mes plus tendres remerciements à messieurs de La Littéraire, je leur serais très obligé.
Ce Duchêne est comme la pluspart de ses confrères, il préfère son intérêt à tout, et même il entend très mal son intérêt en baissant un prix qu'il devrait augmenter. J'ai passé ma vie dans ces véxations là, je n'ai connu que véxations, et j'espère bien en essuier jusqu'à mon dernier jour. Je m'attends bien aussi aux clameurs des fanatiques de Pierre Corneille; mais je n'ai pu dire que ce que je pense, et non ce que je ne pense pas. Il me suffit du témoignage de ma bonne conscience. Puissent mes deux anges jouïr d'une santé parfaitte. Que les eaux fassent tout le bien qu'elles peuvent faire. Je vous souhaitte beaucoup de bonnes Tragédies et de comédies pour cet été. Mais ni les étés, ni les hivers ne donent pas beaucoup de ces sortes de fruits; ils sont très rares en tout païs. Aimez moi, je vous en conjure, indépendemment de nôtre passion pour le théâtre, je vous aime uniquement pour vous, et je vous serai attaché à tout deux jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.