jeudi au soir 15e xbre 1763
Je reçois une lettre céleste, et bien consolante de mes anges, du 8e xbre.
Je ne me plains plus, je ne crains plus; mais je n'ai plus de Quakres. Il faudrait engager quelque honnête libraire à imprimer ce salutaire ouvrage à Paris.
Je rêverai à Olimpie. Je demande quinze jours, ou trois semaines, car actuellement je suis surchargé, et les yeux me font beaucoup de mal.
J'avertis, par avance, que maman n'est point de l'avis de mr de Thibouville, mais je prierai dieu qu'il m'inspire, et s'il me vient quelque bonne pensée je la soumettrai à votre hiérarchie.
Songeons d'abord aux conjurés et aux roués. Je commence à n'être pas si mécontent de cette besogne, et je crois que si melle Dumênil jouait bien Fulvie, et melle Clairon pathétiquement Julie la pièce pourrait faire assez d'effet. Cependant, j'ai toujours sur le cœur l'ordre qu'on donne à Julie au 4e acte, d'aller prier dieu dans sa chambre; c'est un défaut irrémédiable. Mais où n'y a-t-il pas des défauts! Peut-être cet endroit défectueux rebutera melle Clairon; elle aimera mieux le rôle de Fulvie; en ce cas, Julie serait, je crois, à melle Dubois, et cet arrangement vaudrait peut-être bien l'autre.
Je suis enchanté que l'affaire de la gazette littéraire soit terminée; mais je crains bien d'être inutile à cette entreprise. Il faut lire plusieurs livres, et je deviens aveugle. Heureusement un aveugle peut faire des tragédies, et si les roués ne me découragent pas, vous entendrez parler de moi l'année prochaine.
Laissons là Icile, je vous en supplie; c'est un point sur un i. Ne me parlez point d'une engelure quand le renvoi de Julie dans sa chambre me donne la fièvre double tierce.
Le Corneille est entièrement fini depuis longtemps; on l'aura probablement sur la fin de janvier. La petite-nièce à Pierre avance dans sa grossesse, tantôt chantant, tantôt souffrant. Notre petite famille est composée d'elle, de son mari, d'une sœur, et d'un jésuite. Voilà un plaisant assemblage; c'est une colonie à faire pouffer de rire. Je souhaite que celle de mr le duc de Choiseul à la Guiane(qui est, ne vous déplaise, le pays d'Eldorado), soit aussi unie et aussi gaie. La nôtre se met toujours à l'ombre de vos ailes, et je vous adore du culte d'hyperdulie; et si les roués réussissent, j'irai jusqu'à latrie. Mettez moi, je vous en conjure, aux pieds de mr le duc de Praslin, pour l'année prochaine, et pour toutes celles où je pourrai exister.
J'écrirai à mr de Thibouville incessamment.