22e fév. 1764
Il n'y a, Monsieur, que les philosophes qui aient un cœur, et je crois qu'il faut dire, que les peuples ne seront heureux que quand ils auront des philosophes pour intendants.
Je vous remercie comme si j'étais Ladouze, et que ma maison eût brûlé. Je vous sçais grand gré de trouver qu'Ossian fils de Fingal, et tous les fatras barbares, ressemblent comme deux goutes d'eau à Isaïe, c'est que la belle nature est par tout la même quand on est animé d'un Divin entousiasme. Il parait que vous avez deviné que la Tolérance était d'un ouvrier qui fait des couteaux à deux tranchants. Les gens qui ont le nez fin pouront soupçonner que le bon prêtre, ami de la tolérance, n'est pas l'ennemi de l'indifférence. J'en ai fait des reproches à ce bon homme; il m'a répondu qu'il en était bien fâché, mais qu'il n'avait pu faire autrement; et qu'il était impossible d'amener les successeurs des gentils à être indulgents, si on ne commençait par les rendre indifférents. Il y a de vieilles cruches empestées, toutes encroûtées de vieilles ordures, il faut les écurer avant d'y verser une liqueur douce.
Comptez, Monsieur, que je regrette plus que jamais, de n'être pas de la famille de Pourceaugnac, et que je voudrais passer la fin de ma vie auprès d'un homme de vôtre mérite; mes derniers jours seraient mes beaux jours; je me suis donné des chaines, il faut que je laboure la terre que j'ai acquise; je cherche à me persuader que c'est la plus belle fonction de l'homme, et qu'il n'y a point de plaisir égal à celui de suivre sa charue. J'aime pourtant encor mieux lire Virgile et Horace, et surtout, j'aimerais mieux vous faire ma cour. Conservez, Monsieur, vos bontés pour l'homme du monde qui en sent tout le prix.
V.