30e avril 1774
Mon cher ange, je vous avais d’abord envoyé quelques pégazes par l’hippopotame, mais je n’ai point eu de nouvelle de ce cheval marin, quoique j’aie caressé son poitrail: je n’ai pas même eu de réponse de lui depuis quinze jours.
Je ne sais s’il est au fond de la mer. Tous mes pégazes que je lui avais envoyés sont probablement noyés avec lui.
Je suis toujours très malade, et quoique je m’égaye quelquefois à faire de mauvais vers, je n’en souffre pas moins.
Je me suis donné la petite consolation de démasquer, dans les notes de Pégaze ce scélérat d’abbé Sabotier, qui après avoir commenté Spinoza, a l’insolence d’accuser d’irréligion tant d’honnêtes gens, et qui ayant fait des vers que le cocher de Vertamont aurait été honteux de faire dans un mauvais lieu, ose condamner les libertés innocentes qu’on peut prendre en poésie. Ce petit monstre est, dit on, le favori de l’évêque Jean George de Pompignan. Il est bon de connaître ces scélérats d’hypocrites. La littérature est devenue un cloaque que mille gredins remplissent de leurs ordures. Vous conviendrez qu’il vaut mieux à présent faire labourer Pégaze que le monter.
Portez vous bien, mon cher ange, vous et mad. d’Argental; jouissez d’une vie honorée et tranquille, pour moi je me meurs entre mes montagnes.
V.