1736-01-07, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à conte Francesco Algarotti.

Vous pardonnerez sans doute, monsieur, à l'affliction où j'ai été, le temps que j'ai mis à vous répondre; nous sommes à présent un peu plus tranquilles, et Cirey a repris tous ses charmes.
Ronceine est sûrement innocent, et personne n'a de copies de ce charmant et malheureux ouvrage. Tiriot est bien plus heureux de souper si souvent avec vous, que de recevoir un petit billet de ma main; il a servi son ami dans cette occasion comme je veux que l'on serve: et comme je n'avais d'autre reproche à lui faire, j'ai été charmée de lui pouvoir rendre justice. Vous êtes trop bon de vous tant embarrasser de mes commissions. Pourvu que vous ne négligiez pas my picture, je serai très contente, car je ne suis pas si difficile à vivre que vous croyez. Je connais le tourbillon, et combien il est difficile de n'en pas être emporté. Neuton a détruit ceux de Descartes, mais on ne détruira jamais, je crois, celui là. The woman of your country a une bien grosse tête pour avoir tant réussi à la cour; elle se serait bien passée du compliment du cardinal; mandez moi qui est ce qui a été avec elle à Versailles. Le Gresset me paraît à la mode; je n'ai point vu sa Chartreuse, dont on dit du bien; mais pour Vert-vert et le Pupitre vivant ils méritaient qu'on le laissât jésuite.

On ne me mande pas de bien de la Zoraïde de le Frêne; j'espère que nous passerons avant lui; du moins si justice est faite. Voltaire a écrit une belle lettre à nos seigneurs les comédiens; si vous voulez je vous l'enverrai. Mon cher ami Lerand est arrivé; ma belle lettre a fait son effet. Nous lisons tous les jours de l'Arioste; je compte parler italien à votre retour ici. Souvenez vous de votre parole pour le mois d'août, et ayez robur et œs triplex pour vous défendre de Maupertuis et du pôle. On me mande qu'ils commencent à se dégoûter de leur voyage; ce qui est sûr c'est qu'ils le sont de moi l'un et l'autre, car je n'ai pas ouï parler d'eux depuis les lettres que vous leur avez envoyées pour moi; me voilà brouillée avec le pôle arctique et le pôle antarctique. Je ne sais pas trop pourquoi. J'ai répondu à la lettre que vous m'avez envoyée de l'abbé Franchini par une lettre bien triste, mais la première fois que j'aurai de l'imagination, je réparerai cela.

Mandez moi si vous avez vu mad. de S. Pierre et mad. de Richelieu. D'Argental me paraît enchanté de vous; il est digne de vous plaire et de vous aimer; c'est un ami charmant: parlez de moi ensemble, je vous supplie. On a envoyé des corrections; je ne sais trop comment on a arrangé tout cela, mais j'espère, si nous avons mlle de Fresne pour Alzire, que cela sera bien reçu. Adieu, monsieur; il est impossible d'être plus aimé et plus regretté que vous l'êtes à Cirey.