1736-10-18, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à conte Francesco Algarotti.

Etes vous enfin arrivé à Venise?
êtes vous dans les neiges des Alpes? quelque part où vous soyez, pensez vous à Cirey? On y pense beaucoup à vous, on vous y regrette, on vous y désire, on voudrait partager avec vous la joie que l'on y a du succès de la petite comédie. Elle a été reçue presque aussi bien qu'Alzire; mais ce qu'il y a de piquant au milieu de tout cela, c'est que comme on connait point l'auteur, on la donne à Pirron, à Gresset, à tous les poètes possibles. On nomme aussi Voltaire; mais j'espère que ce ne sont pas les mêmes gens. J'ai reçu une lettre du pôle; Maupertuis me mande que vous mériteriez d'y être, pour n'avoir pas voulu y aller: cela vous fait voir que vous êtes fort heureux de n'y être pas. Je vous envoie une lettre qu'on vous adresse ici. Ces gens là croyaient que vous ne me tiendriez pas rigueur, et que je ne serais pas assez douce pour vous laisser partir si promptement; mais j'aime mes amis pour eux mêmes, et pour leur plaisir. Quand vous voudrez contribuer au mien, écrivez moi; mandez moi vos occupations, vos projets, et surtout n'oubliez pas celui de venir quelquefois philosopher avec nous. Le premier des Emiliens ne se porte pas bien, mais il vous dit mille choses tendres; pour moi vous savez bien que je suis décidée à avoir pour vous toute ma vie une amitié inaltérable.

Je vous prie de ne jamais mettre de compliments dans vos lettres.