1757-10-09, de Pierre Louis Moreau de Maupertuis à Laurent Angliviel de La Beaumelle.

… J'approuve fort l'entreprise de votre édition et comment ne l'approuverais je pas, j'y trouve votre avantage et le mien: je ne doute point que cet ouvrage n'ait le plus grand succès et ne vous soit pour le moins aussi glorieux et aussi utile que vos mémoires de Maintenon.
Je vous conjure seulement de ne le pas faire d'une manière qui vous expose, et cela me paraît facile. Vous savez la rigueur des dernières ordonnances contre les livres imprimés sans permission et tout l'arbitraire qu'elles laissent pour juger les transgressions. Je crois qu'il faut garder sur cela le plus grand secret jusqu'à ce que l'ouvrage paraisse. Dites moi quand vous croyez que ce puisse être. Pourquoi dites vous que notre commerce ne pourrait être que fort languissant? Un commerce avec vous ne le sera jamais, le mien pourrait vous être à charge. Depuis les treize mois dont vous parlez, j'ai été et suis bien encore pis qu'à la Bastille: entre deux maîtres, entre deux patries, entre une femme et une sœur que j'aime, je me vois également privé de tout. Je compte retourner en Prusse dès que les français n'y seront plus, persuadé cependant qu'ils auront laissé un souvenir bien funeste pour ceux qui y resteront: mais que faire, peut on quitter un maître quand la fortune l'abandonne?

La mort de Kœnig fait un ingrat et un fripon de moins dans le monde, mais qu'est ce qu'un de moins dans le monde!

L'abbé Trublet me mande que Voltaire fait l'histoire du czar, et a été invité à aller travailler sur les lieux. Notre cher abbé est d'une naïveté charmante: il avait souhaité de voir quelques unes des lettres que V. m'avait autrefois écrites: je lui avais envoyé celle qu'il m'écrivait à mon retour du pôle, cette réponse qu'il semble avoir fait lui même à son Akakia [par] l'enthousiasme en vers et en prose sur le succès de cette entreprise et sur le mérite de la relation que j'en avais donnée. L'abbé me mande qu'il a fait voir cette lettre à m. d'Argental, et que m. d'Argental a été très frappé. C'est le meilleur homme du monde, mais gardez vous de lui confier rien que vous souhaitiez qui demeure caché: ceci n'est pas fondé sur ce qu'il a montré à d'Argental une lettre que je lui envoyais pour montrer à tout le monde, c'est sur mille autres choses et à tous moments.

Je ferai quelque séjour ici, écrivez m'y souvent: j'aurais bien mieux aimé vous y voir. Adieu, monsieur, retranchons les formules, comptez sur l'âme la plus remplie de tout ce que vous valez et la plus sensible à l'amitié et à la reconnaissance.

Maupertuis