30e xb 1763 à Ferney
Mon cher philosophe, tandis que le traitté de la Tolerance trouve grâce devant les catholiques, je serais très affligé qu'il pût déplaire à ceux mêmes en faveur desquels il a été composé.
Il y aurait, ce me semble, peu de raison et beaucoup d'ingratitude à eux, de s'élever contre un factum fait uniquement en leur faveur. Je ne connais point l'auteur de ce livre, mais j'apprends de tout côtez qu'il réussit beaucoup, et qu'on a même remis entre les mains des ministres d'Etat un mémoire qu'ils ont demandé, pour éxaminer ce qu'on pourait faire pour donner un peu plus de liberté aux protestants de France.
J'ai cherché dans ce livre s'il y a quelques passages contre la révélation; non seulement je n'en ai trouvé aucun, mais j'y ai vu le plus profond respect pour les choses mêmes dont le texte pourait révolter ceux qui ne se servent que de leur raison. Si ce texte, mal entendu peut être, par ceux qui n'en croient que leurs lumières, et à qui la foi manque, inspire malheureusement quelque indifférence, cette indifférence peut produire du moins un très grand bien, car on se lasse de persécuter pour des choses dont on ne se soucie point, et l'indifférence amène la paix.
Je crois qu'on a envoié un éxemplaire de cet ouvrage à Mr De Correvon qui l'avait demandé plusieurs fois. Il y a longtemps que je n'ai eu de ses nouvelles. Vous me ferez plaisir de lui dire que cet ouvrage a fait la plus grande impression dans l'esprit de nos ministres d'Etat qui l'ont lu.
J'espère d'ailleurs que nous viendrons à bout de nôtre Jesuite intolérant, qui ne veut pas qu'un huguenot réussisse dans une demande très naturelle et raisonableà un prince catholique.
Je vous suplie, mon cher Monsieur, de compter pour jamais sur mon attachement inviolable.
V.