1762-07-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théodore Tronchin.

Voicy, mon cher grand homme, le mémoire tel qu'il est fait pour les catholiques.
Nous nous faisons tout à tous, avec L'apôtre; il m'a paru qu'un protestant ne devait pas désavouer sa religion, mais qu'il devait en parler avec modestie et commencer par désarmer, s'il est possible, les préjugés qu'on a en France contre le calvinisme, et qui pourraient faire un très grand tort à l'affaire des Calas. Comptez qu'il y a des gens capables de dire qu'importe qu'on ait roué, ou non, un calviniste? C'est toujours un ennemi de moins dans l'Etat.

Soyez très sûr que c'est ainsi que pensent plusieurs honnêtes Ecclésiastiques. Il faut donc prévenir leurs cris par une exposition modeste de ce que la religion protestante peut avoir de plus raisonnable. Il faut que cette petite profession honnête et serrée laisse aux convertisseurs une espérance de succez. La chose était délicate, mais je crois avoir observé les nuances.

Nous avons une viande plus crue pour les païs étrangers. Ce mémoire cy est pour la France, et il est au bain-marie. Je crois que je serai obligé de mettre en marge à la main, la déposition qui fait parler Calas après être étranglé, comme dans le maure de Venise.

Je vous prie de considérer que Pierre Calas à la fin de sa déclaration, insiste sur la raison qui doit déterminer le conseil à se faire représenter les pièces. Cette raison n'est point l'intérêt de Pierre Calas, ni la mémoire de Jean Calas, dont le conseil se soucie fort peu, c'est le bien public, c'est le genre humain que le conseil doit avoir en vue, et c'est surtout la dernière idée qui doit rester dans l'âme du lecteur.

Je doute fort que je puisse venir chez vous de bonne heure; faites moi sçavoir, je vous prie, par le porteur, jusqu'à quelle heure vous garderez la maison.