10e august [1763] , à Ferney
Frère, vous m'avez donné une terrible commission, nôtre langage gaulois n'est point fait pour les inscriptions.
Quand vous voudrez du stile lapidaire commencez par retrancher les verbes auxiliaires, et les articles. J'essaie pourtant de louer le Roy et messrs de Rheims, en deux vers, sans articles, et sans verbe avoir: le Roy est un bon prince, les Rhemois sont de bons sujets, et il me parait juste de dire un petit mot de ceux qui font la dépense de la statue.
Si on ne veut pas de ce petit disticon, qu'on se couche auprès, car je n'en ferai pas d'autre.
Je suis très fâché que vous ne soiez pas voisin de mon autre frère, mais je me flatte que vous le verrez souvent. Je voudrais que frère Duclos eût une de ces petites brochures dont vous me parlez.
Il y a une profusion de poësie dans les quatre saisons, qui fait grand plaisir aux gens du mêtier.
Je n'ai nulle nouvelle de Protagoras. J'ai lu les richesses de l'état; on aurait beau faire cent volumes de cette espèce, ils ne produiraient pas un sou au Roy. Ce petit roman de finance n'est point du tout pris de la dixme attribuée au Maréchal de Vauban, laquelle n'est point de ce maréchal, mais d'un normand nommé la Guilletiére, autant qu'il peut m'en souvenir.
Il faut absolument que frère Marmontel soit de l'académie, en attendant frère Diderot; je voudrais les recevoir tous les deux, et puis m'enfuir dans mes montagnes. Tâchez, pour Dieu, de me faire avoir cette Lettre extravagante de Jean Jaques. Frère, je vous embrasse tendrement.