1763-07-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

Monsieur le Garrick de France, vous n'êtes le Guarigues que par le mérite et non par la bourse.
Vous vous en tenez aux aplaudissements du public, et vous laissez là les pensions de la cour. Mais quand une fois le roi aura sept cent quarante millions net, de revenus annuels, qu'on lui promet dans des brochures, je ne doute pas que vous ne soiez alors couché sur l'état.

Vous venez de faire un miracle, vous avez fait suporter à la nation une Tragédie sans femme. Vous avez aussi fait paraitre un corps mort. Vous parviendrez à changer l'ancienne monotonie de nôtre spectacle, qu'on nous a tant reprochée. Il faut avouer que jusques icy la scène n'a pas été assez agissante. Mais aussi, gare les actions forcées et mal amenées: gare le fracas puéril de collège. Tout a ses inconvénients, et le chemin du bon est bien étroit. Vous avez trouvé ce chemin, mon grand acteur, je ne serai content que lorsque vous serez dans celui de la fortune, et que la cour vous aura rendu justice. Je vous embrasse bien tendrement.

Me Denis mille compliments.

V.