à Ferney, le 22 juin [1763]
Monsieur,
J'ai reçu enfin, et j'ai dévoré votre excellent traité de l'éducation.
Autrefois le triste emploi d'instruire la jeunesse était méprisé des honnêtes gens et abandonné aux pédants, et qui pis est aux moines. Vous donnez envie d'être régent de physique et de rhétorique. Vous faites de l'institution des enfants, un grand objet de gouvernement. Pourquoi ne tirerait on pas du sein de nos académies, les meilleurs sujets qui voudraient se consacrer à des emplois devenus par vous si honorables? Mais il faudrait Michel de L'Hospital, ou monsieur de La Chalotais pour chancelier.
Il vient d'arriver à Genève des ballots de votre livre. Il est lu et admiré. Genève croira que je vaux quelque chose, en voyant comme vous avez daigné parler de moi. C'est là tout ce qu'on pourra critiquer dans votre livre. Il me semble, à l'empressement que tous les pères de famille ont à vous lire, qu'on sera bientôt obligé de faire ici une nouvelle édition, quoiqu'on ait fait venir de France une grande quantité d'exemplaires. En ce cas je vous demanderai les additions dont vous voudrez embellir votre ouvrage. Ne voudriez vous pas dire, en parlant des vingt-cinq ans que mettrait un boulet de canon à parcourir l'espace qui s'étend de notre globe au soleil, que c'est en supposant la vitesse toujours égale? c'est une bagatelle. Je me conformerai exactement à tous vos ordres.
Vous donnez de beaux exemples en plus d'un genre, au parquet de Paris. On prétend que maître Omer de Fleuri ne les a pas suivis en faisant son réquisitoire contre l'inoculation.
J'ai peur que le gouvernement ne soit si embarrassé de la peine qu'auront tant d'hommes faits, à payer les impôts, qu'il ne pourra donner à l'éducation des enfants l'attention qu'elle mérite. Curtæ nescio quid semper abest rei. C'est assurément ce qu'on ne dira pas de votre livre, quoiqu'on le trouve trop court.
Agréez, monsieur, le respect, l'attachement, et la reconnaissance de votre très humble &c.