veille de pâques [2 avril 1763] aux Délices
Mes yeux permettent à ma main d'écrire.
Mes anges vous êtes bien tutélaires, et vous n'êtes pas oisifs. Le père Mabillon n'a jamais tant fait de recherches que vous daignez m'en envoyer. Il y a surtout un Corneille vinaigrier dans le triezième siècle qui est un point d'érudition assez rare. N'est ce point ce vinaigrier là qui a fait Suréna et Pulcherie?
Il est vray mes anges que je me plains quelquefois du temps que ces dernières pièces me font perdre. Figurez vous la mine que fait un pauvre homme qui a été presque aveugle tout l'hiver, et qui était forcé de lire Attila imprimé menu. Ma mauvaise humeur n'empêche pas que je ne rende à notre père Pierre toutte la justice qui luy est due, et si je révèle la turpitude de notre père c'est en adorant ce qu'il a de bon.
Adélaide du Guesclin ou le duc de Foix, bonnet sale, ou sale bonnet, c'est la même chose. C'est à dire que ces deux pièces sont également médiocres, à cela près que le bonnet sale d'Adelaide est encor plus sale que celuy du duc de Foix. Puisque me voilà sur l'article du tripot je vous avouerai que j'ay du faible pour le droit du seigneur, et que l'ouvrage me paraît neuf et piquant. J'ay peutêtre tort.
Je sens encor entrailles de père pour Olimpie. Croyez moy, cela fait un beau spectacle. Je compte les yeux pour quelque chose. Une petite fille tendre, naïve, avec un petit grain de noblesse et de fermeté, est plus mon affaire pour Olimpie, qu'une héroine fière, vigoureuse, connaissant touttes les finesses de l'art, et ayant l'air d'avoir rôti le ballay. Olimpie ressemble plus à Zaire qu'à Cornelie.
Passons à la prose, mes anges. Je mets à l'ombre de vos ailes ce tome du czar Pierre. Lisez les chapitres sur la relligion et sur la mort d'Alexis.
Monsieur le duc de Pralin a t'il le temps de lire? Mais à Geneve on est un mois à relier un livre.
Il y a une autre prose plus intéressante, c'est celle des derniers chapitres de l'histoire générale. J'estime qu'il faut absolument que ny mr de Malzerbes ny personne n'en permettent l'entrée en France avant que mes anges et leurs amis ayent donné leur aprobation, et qu'ils aient indiqué ce qui pourait trop déplaire. On sait bien qu'il faut dire la vérité. Mais les véritez contemporaines exigent quelque discrétion.
Mes anges nous baisons tous le bout de vos ailes.
V.