[March/April 1763]
Plus je songe à ce qui regarde nôtre grande affaire, plus je crois qu'il n'y a aucune démarche à hazarder, et qu'il faut attendre l'aport des pièces, et les motifs du parlement de Toulouse.
Bien des gens prétendent qu'on renverra la décision à un autre parlement de province. En ce cas, nonseulement il ne faudrait point faire venir la servante à Paris, mais il serait même dangereux de lui faire entreprendre ce voyage. Si elle est à Toulouse dans le besoin, on peut lui donner une partie de ce que je destinais pour son voyage de Paris. Mr De Brus en est entièrement le maître, il se ruine en libéralités; c'est à lui d'ordonner ce que les autres doivent faire; il arrangera ces petites bagatelles avec mr Cathala.
Mr De Court s'est certainement mis à la raison. Il répond, aussi bien qu'un magistrat de Lausanne, que les éxemplaires des Lettres Toulousaines ne passeront point en France avant d'être corrigées, il fera des cartons, il adoucira des choses un peu trop dures, et je suis persuadé que ce livre ne poura faire que du bien, dès que le parlement de Toulouse aura envoié les procédures.
Si on est toujours à Genêve dans l'intention de récompenser par un petit présent, la docilité de mr de Court, je prie mr De Brus de me permettre d'y contribuer; il ne s'agit que de dédommager l'auteur des frais de quelques feuilles de papier, et du retardement qu'il éssuie. Je pense qu'un présent de dix Louis suffirait. J'offre d'en paier le quart. Je suplie mr De Végobre de vouloir bien me faire sçavoir sur celà ses ordres.
Je fais une réfléxion, que je soumets aux lumières de tous ceux qui gouvernent l'affaire de madame Calas. Si nous pouvons obtenir la revision au grand conseil, j'ai de fortes raisons d'espérer que l'arrêt sera plus favorable dans ce tribunal que dans un autre; je suis convaincu que le sr David, premier auteur de toute cette cruauté fanatique, serait fortement réprimandé; je doute beaucoup qu'on osât nous rendre une justice aussi complette à Aix ou à Grenoble. Nous obtiendrions après bien des peines et des délais, la réhabilitation de la mémoire de Jean Calas, mais de bonne foi, n'est elle pas entièrement réhabilitée? y a t'il quelqu'un dans l'Europe qui puisse en douter? et l'ordre donné au parlement de Toulouse, de rendre compte de ses motifs n'est il pas flétrissant pour les juges? demande t'on raison à un homme de sa conduite quand cette conduite est satisfaisante? L'arrêt du parlemt de Toulouse est déclaré injuste par le conseil et par le public. Que pourions nous demander à présent? Une réparation. David devrait être condamné, solidairement avec les juges, à payer les frais du procès et à demander pardon à la veuve; mais c'est ce qu'on ne fera pas. Les parlements seront toujours ménagés, et surtout par d'autres parlements. Nous obtiendrons tout au plus en province la réhabilitation d'une mémoire déjà toute réhabilitée dans l'Europe. Nous pourions obtenir à Paris quelque chose de plus, et ce plus sera bien mince. Voilà sur quoi je voudrais que l'on consultât encore nos avocats et nos amis de Paris. M. Dumas pourrait en conférer avec m. Mariette. Une conversation produit plus d'effet que vingt lettres.
Je fais mille compliments à m. Debrus, à m. de Végobre et à leurs amis.