1763-03-11, de Louis René de Caradeuc de La Chalotais à Voltaire [François Marie Arouet].

La lettre que vous m'avés fait l'honeur de m'écrire Monsieur m'a causé un des plaisirs les plus sensible que j'aie jamais eu de ma vie.
Représentés vous quelqu'un qui est loin de tout humain secours, qui fait sur la littérature un ouvrage au milieu du Tumulte des affaires et à diverses reprises et qui est approuvé de celuy qui est come dit énergiquement le Latin, Litteratorum facile princeps.

Vous m'avés donné du cœur monsieur et je vais déposer mon mémoire. C'est une époque de l'heureuse perte que nous avons faite, que de voir un ouvrage de Littérature fait par un home du Roy déposé dans le Greffe d'un parlement. Je vous avoüe monsieur que j'eusse bien désiré que vous eussiés daigné y faire quelques corrections et y placer quelques uns de ces traits de Lumière, que vous répandés partout.

La société penche vers sa fin: c'est le sort du fanatisme de tomber tout d'un coup dès qu'il est dévoilé. Je me sçay bon gré de luy avoir porté quelques coups.

Ces Clazomeniens à qui il est permis de n'avoir point de pudeur ont mis cent faussetés et cent calomnies dans leur appel à la Raison. Quels appellans et à quel Tribunal, vous deveriés bien à vos heures de délassement qui sont faites pour réjouir et pour instruire tout le monde, faire le jugement de la Raison sur l'appel porté devant elle: persone n'est plus propre à luy faire parler son langage.

Puisque vous cultivés la terre avés vous Monsieur nos deux volumes du corps d'observations de la société de Bretagne sur l'Agriculture, le commerce et les arts? Si vous ne les avés pas je vous les enverrai. Nous commençons à Naitre, je voudrois bien pouvoir vous envoyer à Fernai tous nos ignorantins pour les atteler à vos charrues. Puis que vous Labourés monsieur on peut dire de Fernay come de la campagne de Rome, Gaudet tellus vomere Laureato.

Je ne voudrois pas que mon mémoire fût imprimé, je le retouche tous les jours. Je vous l'enverrai quand il le sera icy et si on veut après me faire l'honeur de L'imprimer à Geneve j'en serai ravi. Je vous supplie de me le Renvoyer à Paris par une occasion qui ne coûte pas de port. Trouvés bon que je vous prie de dire à mr Cathala que j'ai remis ses 32ltà M. le Boucher, j'aurai soin de son affaire quand il en sera temps. J'ai vu avec plaisir par votre lettre à mr Dalembert que vous comptés donner une nouvelle édition de votre histoire universelle. Si elle n'est pas imprimée encore je prendrai la Liberté si vous l'agréés de vous envoyer quelques notes sur l'origine des parlemens de France.

Portés vous mieux, Monsieur, vivés pour l'honeur de la littérature et de la philosophie, pour celuy du siècle, de la Nation, et de l'humanité. Persone ne le désire plus que moy et n'est avec plus de respect et de sincérité.

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

La Chalotais