au château du Plessis par Senlis ce 10 mars 1763
Je vous sais très bon gré, mon cher Confrère, de me communiquer Le mariage de mademoiselle Corneille; tous les amateurs des lettres y doivent prendre part.
Puisque vous, successeur de Corneille, qui avés su l'imiter et le corriger, n'épousés pas sa petite nièce, je trouve que vous avés bien fait de lui choisir pour mari un Capitaine de dragons. Il doit naitre d'eux des militaires plus nerveux et plus mâles que la plus part de ceux qui ont figuré dans cette guerre. Je consens très volontiers que mon nom soit inscrit aubas du Contract. Je n'en connois aucun dans l'Europe qui ne soit honoré d'estre à costé du vôtre. Si vous n'aviez fait que de belles tragédies, et Le seul poëme héroïque qu'on lise avec plaisir dans notre langue, si vous n'étiés qu'un historien élégant et philosophe, qu'un homme du monde facile dans son stile, piquant et agréable dans ses plaisanteries, vous ne Laisseriés pas que d'estre le premier homme de lettres de votre siècle; mais outre Les talents de L'esprit et les ressources du génie, vous avés de l'humanité dans le cœur, vous faites du bien aux malheureux, vous dotés La petite nièce du grand Pierre, après l'avoir élevée; voilà ce qui vous met audessus des autres hommes. La bienfaisance est la première des vertus. Je vois assés La plus part des choses de ce monde avec la même lunette que vous, mais il faut convenir que parmi Les Bouteilles
de savon dont vous parlés, il n'en est point de plus brillantes, de plus durables, ni de plus utiles que Les bienfaits répandus. Puisque vous estes arrivé à soixante dix dans avec la machine fresle que je vous ay connüe, et Les travaux sans nombre aux quels vous l'avés assujetie, je vous promets une vie aussi longue que celle de la mareschale de Villars, qui s'est deffendüe dans son lit Comme Le maréchal à Malplaquet. Tant que vous serés guay vous vous porterés bien. Ménagés vos yeux, dictés et n'écrivés jamais. Quoique je sois assés sévère sur ce qui regarde Le prochain, je vous permets pourtant des plaisanteries sur L'orgueil sans mérite et Les vanités déplacées en tout genre; vous en digérerés mieux et fairés mieux digérer Les autres. L'affaire des Calas après avoir intéressé Le public commence à intéresser Les juges. Le Conseil a demendé au parlement de Toulouse Les piècesd u procès.
Envoyés moy vos traductions de Shakespear et de Calderon. J'ai esté fort aise de la réception de l'abbé de Voizenon à notre académie. Il a de la grâce dans L'esprit et une gayeté très utile pour Les réformateurs éternels d'un dictionaire. Nous allons avoir un nouveau confrère. Mais grand dieu quand estce donc qu'on dispensera Les nouveaux académiciens de remplir dans Leurs discours de réception un vieux Boutrimé, qui désole celui qui Le fait et ennuye celui qui le lit? Adieu mon cher Confrère, aimés moy toujours et dites à Mademoiselle Corneille que c'est sa faute d'être si jeune; il y a vint ans que j'aurois fait son épithalame.