1763-01-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ai reçu, mon très cher frère, le petit chapitre concernant l'Encyclopédie, et j'ai retranché sur le champ le petit article où je combattais les droits du parlement, quoique je sois bien persuadé que le parlement n'a aucun droit sur les privilèges du sceau; mais je ne veux point compromettre mes frères.
Je sais fort bien que quand on s'avise de prendre le parti de l'autorité royale contre messieurs, messieurs vous brûlent; et le roi en rit. D'ailleurs dans le petit chapitre des billets de confession et des querelles parlementaires et épiscopales, j'ai dit assez rondement la vérité. J'ai peint les uns et les autres tout aussi ridicules qu'ils étaient, sans pourtant y mettre de caricature.

J'ai lu l'analyse d'Eponime avec plus de plaisir que je n'aurais lu la pièce. Je plains le tripot français qu'on appele théâtre. Je comptais que la divine Clairon viendrait dans le tripot de Ferney, mais je vois bien qu'elle restera dans celui de Paris.

J'ai une envie extrême de lire un mémoire que m. Loiseau fit, il y a quelques années, pour melle Alliot de Lorraine. J'ai connu cette demoiselle à Lunéville, et le style de m. Loiseau augmente ma curiosité. Je demande en grâce à mon frère de m'obtenir cette grâce de m. Loiseau.

J'attends la population de m. de Beaumont. Ce livre sera sans doute ma condamnation. Je n'ai point peuplé, et j'en demande pardon à dieu. Mais aussi la vie est elle toujours quelque chose de si plaisant qu'il faille se repentir de ne l'avoir pas donnée à d'autres?

Nous touchons, je crois, à la décision du conseil sur l'affaire des Calas. Est il vrai qu'il faudra préalablement faire venir les pièces de Toulouse? Ne sera ce pas plutôt après la révision ordonnée que le parlement de Toulouse sera obligé d'envoyer la procédure?

Au reste, mes frères, gardez vous bien de m'imputer le petit livre sur la tolérance, quand il paraîtra. Il ne sera point de moi, et ne doit point en être. Il est de quelque bonne âme qui aime la persécution comme la colique.

Frère Thiriot se tue à écrire; dites lui qu'il se ménage. Cependant, raillerie à part, je lui pardonne s'il mange bien, s'il dort bien, et surtout si son frère m'écrit.

J'embrasse tous mes frères. Ma santé est pitoyable. Ecrasez l'infâme.

P. S. Il y a un petit mémoire incendié d'un président au mortier ou à mortier, frère peu sensé de l'insensé d'Argens. Je ne hais pas à voir les classes du parlement se brûler les unes les autres en cérémonie. Cela me paraît fort plaisant, et digne de notre profonde nation. Mais vous me feriez surtout un plaisir extrême de m'envoyer, par la première poste, le mémoire du président au mortier.