aux Délices 5 juillet [1762]
Mes divins anges cette malheureuse veuve a donc eu la consolation de paraitre en votre présence, vous avez bien voulu l'assurer de votre protection.
Vous avez lu sans doute les pièces originales que je vous ay envoyées par mr de Courteilles. Comment peut on tenir contre les faits avérez que ces pièces contiennent? et que demandons nous? Rien autre chose sinon que la justice ne soit pas muette comme elle est aveugle, qu'elle parle, qu'elle dise pourquoy elle a condamné Calas. Quelle horreur qu'un jugement secret, une condamnation sans motifs! Y a t'il une plus exécrable tirannie que celle de verser le sang à son gré sans en rendre la moindre raison? Ce n'est pas l'usage, disent les juges; eh monstres il faut que cela devienne l'usage! Vous devez compte aux hommes du sang des hommes. Le chancelier serait il assez pour ne pas faire venir la procédure?
Pour moy je persiste à ne vouloir autre chose que la production publique de cette procédure. On imagine qu'il faut préalablement que cette pauvre femme fasse venir des pièces de Toulouse: où les trouvera t'elle? qui luy ouvrira l'antre du grèfe? où la renvoye t'on si elle est réduitte à faire elle même ce que le chancelier ou le conseil seul peut faire? Je ne conçois pas l'idée de ceux qui conseillent cette pauvre infortunée. D'ailleurs ce n'est pas elle seulement qui m'intéresse, c'est le public, c'est l'humanité. Il importe à tout le monde qu'on motive de tels arrêts. Le parlement de Toulouse doit sentir qu'on le regardera comme coupable tant qu'il ne daignera pas montrer que les Calas le sont. Il peut s'assurer qu'il sera l'exécration d'une grande partie de l'Europe.
Cette tragédie me fait oublier touttes les autres, jusqu'aux miennes. Puisse celle qu'on joue en Allemagne finir bientôt!
Je voudrais que la pauvre Calas eût communication de la lettre que luy a écrit son fils, je voudrais qu'on la fit imprimer à Paris, et que le libraire donnât quelques louis à cette infortunée.
Mes charmants anges je remercie encor une fois, votre belle âme de votre belle action.
V.