Ce 22 décembre [1762]
Je ne douteray jamais de l'intérêt que vous prenez à ce qui me regarde, et que vous n'ayez été touché de la mort d'un jeune homme fort joli, et qui en vérité pouvait devenir un fort bon sujet.
J'en suis très affligé et c'est réellement une perte pour moy, mais c'est précisément dans ces moments de tribulation où l'on doit chercher à se raffermir l'âme par des lectures édifiantes. Saül m a fait un très grand plaisir à lire, mais je vous avoue que le pauvre David qui a besoin d'être réchauffé m'a rappelé trop vivement l'état où je suis maintenant réduit pour n'en pas être humilié. Songez vous encor à tout cela? Je trouve assez doux de s'en occuper quelquefois, mais je voudrais que les succès fussent moins rares; enfin il faut prendre patience et s'humilier devant le Seigneur. Mon évêque, plus heureux que moy, est de l'Académie, et a des filles; je n'en seray jamais et je n'en auray plus. Ma consolation de n'être pas assis au milieu des arbitres des talents, est de pouvoir dire comme Philoctete: J'ai fait des souverains et n'ai pas daigné l'être. Ma raison c'est que je ne suis jamais à Paris, que je n'y veux pas être, et que je suis au désespoir quand je suis forcé d'y mettre les pieds. Je respire un air plus doux et plus tranquille à Montrouge, où je serais enchanté de vous y voir. Peut-être préféreriez vous mes roses et mes jacinthes aux neiges de vos Alpes, et certainement vous y trouveriez l'homme du monde qui vous aime le plus, et votre plus zélé admirateur.