1762-10-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange il est bien juste que Monsieur le comte de Choiseuil ait la consolation de vous tenir à Fontainebleau.
Je m'imagine que votre esprit conciliant ne nuira pas à l'œuvre de la paix. Je vois bien des Anglais qui n'en veulent point, mais ils ne songent pas que leur gouvernement doit plus de livres tournois qu'il n'y a de minutes depuis la création. J'en faisais le compte avec eux ces jours cy, et il s'est trouvé juste.

Que Monsieur le comte de Choiseuil se garde bien de perdre un temps prétieux à écrire à une marmotte des alpes. C'est bien assez qu'il soit content de mes sentiments et qu'il ait la bonté de m'en assurer par vous.

Je ne sçais plus où j'en suis pour Mariamne. Je n'ay point icy votre lettre où vous parliez de quelques changements. Je me souviens seulement que vous me disiez que le second acte n'était pas fini. Cependant Marianne sort pour aller consulter dieu, l'honneur et le devoir. N'esce pas une raison de sortir quand on a de telles consultations à faire? et ne voilà t'il pas l'acte fini? Vous parliez mon divin ange de distribution de rôles. Je ne m'en souviens plus. Tous mes papiers sont entassez aux Délices que mr le duc de Villars occupe, mais voicy mon blanc seing tragique que vous ferez remplir comme il vous plaira et que vous appuierez de votre protection.

Nous ne faisons pas comme vous, nous allons rejouer le droit du seigneur. Je vous avertis que je joue le bailli, et le grand prêtre dans Semiramis, et que je suis fort claqué.

Pour Olimpie, vous l'aurez quand vous voudrez. Mon ouvrage des six jours est devenu un ouvrage d'un an. Cette maudite opiniâtreté de vouloir faire évanouir Statira sur le téâtre n'avait écarté de la bonne voye. J'y ay mis tous mes soins et tout mon petit savoir faire.

Je ne me console point de ce que Zulime n'a point dit, j'en suis indigne.

Mais ce qui fait ma vraye tribulation, c'est que mr le duc de Choiseuil m'a cru l'autheur de cette belle rapsodie anglaise, c'est qu'il me l'a écrit (avec bonté il est vray), mais cette bonté est affreuse. J'en ay été outré, et je luy ay dit bien des injures, qu'il mérite. Il faut absolument que M. le comte de Choiseuil le gronde.

Il est vray que M. le duc de Richelieu se porte fort bien, et qu'il en a donné de belles preuves. Mais de moy, ce n'est pas de même. De vingt quatre heures j'en soufre dix huit. Je grifone les six autres, et je vous aime tous les moments de ma vie.

V.