1762-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Eh mon dieu, il y a six ou sept jours que Cassandre clôt votre quatrième acte, et que ce quatre est tout changé.
Il faut que L'idée soit bien naturelle, puis qu'elle est venue à l'auteur et à L'acteur. Mes divins anges envoyez moy donc mon brouillon, que je vous le rebrouillone. Je vous jure que vous n'aurez plus d'autels sousterrains, mais vous aurez des autels que je vous dresserai.

Il y a toujours des gens, qui, comme dit Ciceron, cherchent midy à quatorze heures à une pièce nouvelle. Il est aisé de dire qu'un sabre est trop grand, il n'y a qu'à le racourcir. Made Denis avait une bonne pique. On ne trouva point du tout mauvais que la forcenée dans sa rage d'amour allât se battre contre le premier venu. Elle rencontre son père, et jette ses armes. Cela faisait chez nous un beau coup de téâtre. Nous avons beaucoup d'esprit et de jugement et votre Paris n'a pas le sens d'une oye. Quand vous faittes des opérations de finance nous vous redressons. Je parle de Geneve, car pour moy, je suis modeste. Faittes comme vous l'entendrez; mais à votre place je laisserais crier les critiques.

Duchene, Gui Duchene, m'écrit qu'il veut imprimer Zulime. Pourquoy l'imprimer? quelle nécessité? Mon avis est qu'elle reste dans le dépost du tripot. Qu'en pensent mes anges?

Je soutiens toujours que les deux scènes de Statira valent mieux que tout Zulime et que toutte l'eau roze possible.

Mais vous croyez connaître Cassandre (car c'est Cassandre) non, vous ne le connaissez pas. Quatrième acte nouvau, et presque tout entier nouveau, et beaucoup de mailles reprises. Je vous dis que ma nièce Fontaine est folle; elle ne sçait ce qu'elle dit. Mon dieu que j'aime Cassandre et le droit du seigneur!

Clairon Statira! c'était ma première pensée. Mes premières idées sont excellentes.

Monsieur le comte de Choiseuil quand vous n'aurez rien à faire, daignez donc vous informer si le roy mon maître a été proposé jadis à Elizabeth l'autocratrice?

Le Roy de Prusse a une descente. Les flatteurs disent que c'est la descente de Mars, mais elle n'est que de boyau, et il ne peut plus monter à cheval. Il est comme nous, il n'a plus de Colbert à ce que disent les mauvais plaisants.

Mais M. le comte de Choiseuil, dittes donc à l'Espagne qu'elle envoye cinquante vaissaux à notre secours. Que voulez vous que nous fassions avec des compliments?

Gardez vous d'avoir jamais afaire aux Russes.

Je n'ay point entendu parler de le Kain mais son affaire est faitte.

Je baise bien tendrement le bout de vos ailes.

V.