23e 7bre 1762, au château de Ferney
Mes divins anges je dois d'abord vous dire combien j'ay été frappé du mémoire de M. de Beaumont.
Il me semble que chaque ligne porte la conviction avec elle. Je luy en ai fait mon compliment. Je crois qu'il est impossible que les juges résistent à la vérité et à l'éloquence.
Voicy une autre affaire dont les objets peuvent être plus importants quoy que moins tragiques. C'est à Monsieur le comte de Choiseuil à voir s'il trouvera mon idée praticable. Je la soumets à ses lumières et à sa prudence. Le secrétaire de l'ambassade anglaise est comme vous savez l'âme unique de cette négociation et elle peut avoir quelques épines. Ce secrétaire a un beau frère et un ami dans un homme de la famille des Tronchins. Vous n'ignorez pas combien cette famille est attachée à la France. Celuy dont je vous parle y a tout son bien. Il est fils d'un premier sindic de Geneve, homme d'esprit et de probité, comme tous les Tronchin le sont, tres capable de rendre des services avec autant d'honneur que de zèle. Son beaufrère a en luy une entière confiance. Peutêtre n'y a t'il pas de moyen plus sûr et plus honnête d'aplanir les difficultez qui pouront survenir et de faire agréer des insinuations contre les quelles on serait en garde si elles venaient de la part du ministère de France, et qu'on recevrait avec moins de défiance si elles étaient inspirées par un parent et par un ami. Je peux vous répondre que M. Tronchin servira la France avec le plus grand empressement sans manquer en rien à ce qu'il doit à son beau frère. Je n'imagine pas que monsieur le comte de Choiseuil puisse jamais trouver une personne plus capable de répondre à ses vues pacifiques et généreuses, et plus digne de toutte sa confiance dans une négociation si importante.
C'est une idée qui m'est venue, et qui peut être mérite d'être aprofondie, et suivie. Mon suffrage est bien peu de chose, mais soyez bien persuadé que je ne ferais pas une telle proposition si je n'étais sûr de la probité et du zèle de monsieur Tronchin.
Si on ne trouve pas mon offre déraisonable, que M. le comte de Choiseuil me donne ses ordres ou par luy même ou par vous, c'est la même chose: et que dieu nous donne la paix. Je ne sçais s'il est bien vray qu'il y ait une guerre commencée en Russie, mais je suis sûr qu'il y a des nuages.
Je n'ay point encor eu de nouvelles de M. le maréchal de Richelieu. Je le crois à Lyon avec la duchesse de Lauraguais. S'ils viennent tous deux chez Baucis et Philemon Ferney sera bien étonné d'être la cour des pairs.
Nous avons joué aujourdui Olimpie devant mrs de la Rocheguion et de Villars. Cela n'a pas été trop mal, mais cela pourait être mieux. Il n'y avait que moy qui ne savais pas mon rôle tant je songeais à ceux des autres.
Mille tendres respects.
V.