1762-09-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Jacques Élie de Beaumont.

Monsieur,

Jusqu'à présent il ne s'était trouvé qu'une voix dans le désert qui avait crié parate vias domini.
Vôtre mémoire est assurément L'ouvrage du maître; je ne sçais rien de si convainquant et de si touchant. Mon indignation contre L'arrêt de Toulouse en a redoublé, et mes larmes ont recommencé à couler.

Je suis convaincu que vous parviendrez à faire réformer l'arrêt de Toulouse. Vôtre conduite généreuse est digne de vôtre éloquence. Cette cruelle affaire, qui doit vous faire un honneur infini, achève de me prouver ce que j'ai toujours pensé, que nos loix sont bien imparfaittes. Prèsque tout me parait abandonné au sentiment arbitraire des juges. Il est bien étrange que l'ordonnace criminelle de Louïs 14 ait si peu pourvu à la sûreté de la vie des hommes, et qu'on soit obligé de recourir aux capitulaires de Charlemagne.

Votre mémoire doit désormais servir de règle dans des cas pareils. Le fanatisme en fournit quelquefois. J'ai lu trois fois vôtre ouvrage, j'ai été aussi touché à la troisième lecture qu'à la première.

J'ajoute aux trois impossibilités que vous mettez dans un si beau jour, une quatrième; c'est celle de résister à vos raisons. Je joins ma reconnaissance à celle que vous doivent les Calas. J'ose dire que les juges de Toulouse vous en doivent aussi; vous les avez éclairés sur leurs fautes. Si j'avais le malheur d'être de leur corps, je leur proposerais sur la seule lecture de vôtre factum, de demander pardon à la famille qu'ils ont perdue, et de lui faire une pension. Je les tiens indignes de leur place, s'ils ne prennent pas ce parti.

L'estime que vous m'inspirez, Monsieur, me met presque en droit de vous demander instamment vôtre amitié. Vous avez une femme digne de vous; agréez mes respects l'un et l'autre, et tous les sentiments avec les quels je serai toute ma vie.

Monsieur

Votre très humble et très obéïssant serviteur

Voltaire