1762-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Debrus.

Je bénis, Monsieur, le maître de la vie et de la mort qui vous rend vôtre santé; je m'y intéresse tendrement, et j'espère bientôt venir vous le dire.

Je suis fort de votre avis que made Calas aille trouver mr Quesney, mais je ne sçais si elle se doit trouver sur le passage du Roy, à moins qu'il n'y ait quelqu'un qui la fasse remarquer à S: M: et qui lui en ait déjà parlé; sans quoi cette démarche sera tout à fait inutile. D'ailleurs, ne croyez pas que sa présence et son deuil puissent avoir la moindre influence sur l'évênement du procez. Ce n'est point icy une affaire de faveur et de grâce, on ne demande que la justice la plus éxacte; tout dépend de l'opinion des juges, et cette opinion dépend beaucoup de celle du public qui a pris avec chaleur le parti de cette famille infortunée. Laissons je vous en conjure commencer le procez; ce sera alors que nous redoublerons nos batteries; il faudra bien qu'on mêne made Calas chez les juges; il faudra surtout que ce soit un homme intelligent qui la conduise chez eux en grand deuil, et plût à dieu qu'elle fût même accompagnée d'un de ses enfans! Leur présence seule vaudra cent pages d'écritures.

Si made Calas était une femme éloquente, dont la figure, les discours, et les larmes fissent une profonde impression sur les esprits, si elle sçavait dire de ces choses qui ébranlent l'imagination des hommes, et qui pénètrent le cœur, je lui dirais, montrez vous partout, parlez à tout le monde; mais ce n'est pas là son caractère; mr Cromelin en est convenu avec moi, il pense que dans le moment présent il faut qu'elle se montre peu, et qu'on agisse beaucoup pr elle. Je vous réponds que nous agissons bien, que tout ira bien; et je parierais cent contre un pour le gain de son procez.

Tranquilisez vous donc, mon cher monsieur, et que vôtre vertu soit moins inquiète. L'homme du monde le mieux disposé est mr le controlleur général, j'en ai des preuves certaines; et je ne désespère pas de faire obtenir une petite pension à cette veuve dès que l'infâme arrêt de Toulouse sera cassé.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur, et je suis entièrement à vos ordres.

V.