1765-03-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Mon cher philosophe, vous n'êtes pas de ces philosophes insensibles qui cherchent froidement les vérités; vôtre philosophie est tendre et compatissante.
On a été très bien informé à Berne du jugement souverain en faveur des Calas, mais j'ai reconnu à certains traits vôtre amitié pour moi. Vous avez trouvé le secret d'augmenter la joie pure que cet heureux évênement m'a fait ressentir. Je ne sais point encor si le roi a accordé une pension à la veuve et aux enfans, et s'ils éxigeront des dépends, dommages et intérêts de ce scélérat de David qui se meurt. Le public sera bientôt instruit sur ces articles comme sur le reste. Voilà un évênement qui semblerait devoir faire espérer une tolérance universelle, cependant on ne l'obtiendra pas sitôt, les hommes ne sont pas encor assez sages; ils ne savent pas qu'il faut séparer toute espèce de religion de toute espèce de gouvernement, que la religion ne doit pas plus être une affaire d'état que la manière de faire la cuisine. Il doit être permis de prier Dieu à sa mode, comme de manger suivant son goût; et que pourvu qu'on soit soumis aux loix, l'estomach et la conscience doivent avoir une liberté entière. Celà viendra un jour, mais je mourrai avec la douleur de n'avoir pas vu cet heureux temps.

Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

Vre