1762-04-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à [unknown].

J'ai reçu, monsieur, avec autant de plaisir que de reconnaissance, vos essais de traduction de quelques poètes anglais.
L'ancienne dureté de leur langue semblait peu favorable à la poésie; mais peu à peu elle s'est changée en force et en énergie. Sa richesse et les différentes inversions qu'elle a adoptées, la rendait propre à tout exprimer.

D'ailleurs, les expressions vigoureuses de cette langue se sont considérablement accrues par la nature du gouvernement, qui permet aux Anglais de parler en public, et par la liberté de conscience, qui familiarise toutes les sectes avec le langage des écrivains sacrés, dont elles font une étude particulière. Aussi la poésie anglaise approche souvent de ce sublime oriental, qui paraît presque surnaturel aux autres peuples. Du temps de Cromwel toutes les harangues du parlement étaient pleines de termes tirés des écrivains hébreux.

La langue française n'ayant pas eu les mêmes secours, n'est pas aussi riche qu'elle pourrait l'être. De plus, nous avons abandonné une foule d'anciennes expressions fort énergiques; et cette perte a un peu affaibli notre poésie. Les Anglais, au contraire, ont naturalisé plusieurs de nos vieux mots, comme dans le temps de la révocation de l'édit de Nantes ils ont naturalisé plusieurs de nos compatriotes. Ils ont ainsi augmenté à nos dépens, et leur langue et leur population.

Mais moins le français offre de ressources, plus je suis reconnaissant de vos imitations de différents morceaux de quelques poésies anglaises. Elles me paraissent fidèles et bien versifiées. Vous ne vous en tiendrez pas probablement à ce premier essai; et le public, ainsi que moi, vous aura des obligations.

J'ai l'honneur d'être, etc., etc.