1762-04-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Un homme de poids monsieur à qui j'avais écrit une lettre lamentable au sujet de l'abominable avanture de Calas m'a répondu, que nous importe qu'on ait roué un homme, quand nous perdons la Martinique.
De minimis non curat pretor. Fort bien messieurs. Mais il fallait savoir deffendre vos possessions, et ne pas faire expirer un innocent sur la roue. Plus je réfléchis sur ma pauvre patrie, et plus je regrette Lausane. Il est vray monsieur que je le regretterai moins à la fin d'avril puisque vous serez en Hollande.

Nous avons icy le Kain qui nous dit que le tripot de la comédie française à Paris, va tout comme le grand tripot de la France, tout est délabré. Vive le petit téâtre de Ferney que vous et madame Dhermanche vous avez tant embelli. Je me flatte que nous aurons encor l'honneur de vous y voir tout deux avant votre départ. Nous apprenons nos rôles. Je rapetasse toujours quelque tragédie. Nous faisons un répertoire, nous formons un magazin. Cela vaut mieux que d'équiper des vaisseaux que les anglais prendraient; pour moy j'ai fait mon traitté avec eux, c'est un anglais qui jouera chez moy Jaques Rostbeef, nous voilà d'acord, comme les russes et les prussiens. Je voudrais voir les rois qui sont en guerre jouer la comédie ensemble. Le roy de Prusse ne jouerait pas le rôle d'amoureux.

Adieu monsieur je vous prie d'agréer, vous et madame Dhermanche, et toutte votre famille mes très tendres respects.

V.

Nos actrices vous aiment et vous attendent.