1761-12-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vous allez mon cher correspondant recevoir de moy de violentes attaques.
Je vous demande d'abord deux cents louis d'or indépendemment des lettres de change que je tirerai sur vous. Il faut payer touttes mes dettes et j'en ai beaucoup à Genève. Que di-je! ce n'est pas moy qui les ay faittes ces dettes terribles. Figurez vous que Mr Coladon présente un mémoire de trois mille livres et que je n'ay pas pris chez luy pour dix écus de drogue! Il en est de même de vingt autres marchands. Mr le cardinal de Bernis, et mr l'archevêque de Lyon ne dépensent pas par année autant que j'ay dépensé depuis que j'ay choisi ce riche pays de Gex pour ma retraitte. Il est vray qu'on ne bâtit pas des châtaux, des églises et des téâtres pour rien. Je prévois que je resterai avec mes rentes et environ cent mille francs entre vos mains. Mais aussi quand je serai réduit lâ, je ne toucherai certainement point au magot. Il faut ne pas mourir tout juste; et laisser quelque chose aux siens.

Il y aura du moins terres, meubles et le magot. Je laisserai baucoup plus que je n'ay reçu, et de plus nous aurons vécu guaiment et splendidement. Je vais faire un arrangement de finance avec madame Denis, au moyen du quel tout sera en règle, et je saurai à quoy m'en tenir par année. Je prends la liberté mon cher monsieur d'entrer avec vous dans ce petit détail. J'y suis autorisé par l'intérest que vous diagnez prendre à notre petite colonie. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous souhaitte la bonne année.

V.