aux Délices 19 Xbre [1761]
Je prends le parti d'adresser ma lettre chez mr de Pondeveile, car c'est chez l'amitié qu'on doit trouver monsieur de la Marche.
L'amitié a toujours été à la tête de vos vertus. Je ne me trouve pas mal de ce beau penchant que vous avez dans votre cœur. Vous daignez faire tomber sur moy un peu de vos faveurs. Vous savez combien j'en sens le prix. Vous m'avez bien échauffé l'âme par votre apparition à Ferney, et puis vous voylà de moitié avec moy dans le monument que j'élève à Corneille. Vous ne sauriez croire à quel point je suis enchanté de tant de bontez. Quand vous aurez fini touttes les affaires qu'on a toujours à Paris, rempli bien des devoirs, fait et reçu bien des visites, quand vous serez oisif, n'est il pas vrai que vous lirez mon œuvre des six jours? Vous ne serez pas fâché d'y trouver un peu de relligion. Il est vray qu'elle n'est pas crétienne mais elle a son mérite, et comme disait feu l'empereur de la Chine au jésuitte Parennin, touttes les relligions tendent au même but qui est de suivre la raison universelle, et de n'avoir point à se reprocher en mourant d'avoir insulté et obscurci cette raison. Voilà de belles paroles pour un chinois qui renvoiait nos missionaires. Je me flatte que vous ne trouverez pas dans mon œuvre des six jours une autre morale, et qu'il y a une relligieuse qui vous attendrira. Si je ne peux avoir l'honneur de vous faire ma cour cet hiver du moins mes enfans vous la feront. J'ay dans l'idée que vous pouriez bien passer doresnavant vos hivers à Paris et vos étez à la Marche. Me trompai-je? Je suis bien homme à vous rendre mes hommages les étez. Mais je ne prévois pas que je puisse jouir de ce bonheur longtemps. Je pourai tout au plus m'échaper quelques jours. Ce ne seront pas mes travaux champêtres, mon église, et mon téâtre qui me retiendront. Ce sera Corneille. Nous allons commencer l'édition, et il n'y aura pas moyen de quitter. Je vous remercie encor une fois de la bonté que vous avez de permettre que vos protégez embelissent cette édition. Je voudrais être bientôt quitte de tant de vers pour venir entendre et lire votre prose. Il me semble que vous élèveriez et que vous échauferiez mon âme, elle est remplie pour vous du respect le plus tendre depuis environ cinquante ans.
V.