27 novembre 1761
Cher cousin, il ne faudrait que tous les propos qu'on me tient sur cette misérable affaire, qui n'en est pas une, tant elle est claire, pour me donner de l'humeur, si je n'étais fermement résolu à dédaigner les extravagances d'un fol effréné et à mépriser ses impudents et audacieux mensonges, autant que je méprise la bassesse de son âme.
Je pense que m. de la Marche, s'il avait à se décider sur de simples allégués, ne serait, malgré sa prévention pour Voltaire, pas embarrassé sur le choix entre un homme d'une réputation entière et un homme d'une réputation perdue. Pour vous, cher cousin, vous m'étonneriez fort, si vous aviez pensé que j'eusse besoin de me justifier dans le public contre un personnage déshonoré dans toute l'Europe par tous les bouts de sa vie. Vous avez vu les premières lettres ci-devant écrites, quand cette missive a commencé. Vous voulez les dernières, vous les aurez, même ma réponse que j'ai sacrifiée, comme je vous l'ai marqué. De plus, je vous ferai voir à mon retour le bail à ferme de ma terre, que je lui ai passé, le second traité qu'il m'a offert, ses nouvelles et extravagantes significations, ses mensonges démentis par les actes mêmes, etc. Mais il ne me convient de faire parler de moi en public, moins encore de me commettre vis à vis d'un écervelé sur le compte de qui je ne pourrais plus rien apprendre à personne, et qui, n'ayant plus un brin d'honneur à perdre, n'a plus rien à risquer. Pour finir court, que Voltaire ne profite pas du fruit de sa vilénie pour prix de son insolence. Cela me suffit; quant à moi, je n'en veux point. Que les trente pistoles soient par lui envoyées au curé de Tournay pour être distribuées aux pauvres habitants de ma terre et qu'il n'en soit plus parlé. Voilà ce que j'ai dit à m. de Fargès et voilà la lettre qu'il a écrite à mme Denis. Vous aurez la bonté de me renvoyer tous ces papiers à Dijon, mais vous pouvez les montrer à m. de la Marche et à tout autre.
On a souvent [donné] du boisà ce drôle là, mais convenez qu'on ne lui en avait jamais tant donné à la fois. Nous vous embrassons tous bien cordialement.