1739-12-27, de Pierre François Guyot Desfontaines à Jean Baptiste Rousseau.

Comment, Monsieur et très cher amy, ai-je pu être muet avec vous depuis plus de 3 mois?
Ce n'est point oubli, puisque J'ai si souvent occasion de parler de vous, c'est l'effet des distractions et des occupations. Ma plume et mon encre sont voüez au public, et mes devoirs particuliers n'en sont pas mieux remplis. J'avois pourtant un Intérêt bien grand à vous écrire pour vous demander, non des complimens, mais des Jugemens bien sincères sur mes poésies sacrées, fruit de ma Jeunesse, que J'aime tendrement. Ils ne sont pas tous de la même force, et d'ailleurs le sujet n'est pas toujours également favorable. Je ne sçai si je m'aveugle; mais mon Super flumino me paroit un peu meilleur que celui de mr Lefranc que je ne voudrois pas avoir fait, tant je le trouve lâche, prosaïque et diffus. Hœc inter nos.

Je ne sçai où vous êtes, à Amsterdam ou à Bruxelles. J'adresse cependant là ma missive, co͞eà votre manoir ordinaire en attendant que nous vous voyons pr toujours à Paris dans un an environ, que votre injuste exil sera prescrit par la Loi. Que vous diraije de V. et des horreurs qu'il a faites ici par son stellionat? Les nouvelles publiques vous auront appris sa bassesse et son parjure à l'égard de nos Ministres. Aussi est il exilé à 45 lieues de Paris par Lettre de cachet. Il a voulu exercer une autre sorte de stellionat à l'égard de mr Couvay, banquier, à qui il prétendoit faire rendre 200 Louis que son agent lui avoit remis, sous prétexte qu'il n'avoit point touché sa Lettre de change sur m. Chandos, et qu'il l'avoit égarée ou Laissée à Bruxelles. Couvai a offert de lui rendre la somme, s'il lui rendoit sa lettre. V. a trouvé la réponse incivile. Il l'a fait assigner aux Consuls. M. C. a consenti de rendre moyennant Caution. Sentence: V. n'a pu en fournir. Il est parti pour Bruxelles fort honteux de sa manœuvre, et à son arrivée il a touché le contenu de la Lettre qu'il a présentée à m. Chandos, après quoi il a envoyé à Couvai par la poste toutes les paperasses du procureur des Consuls, avec cette inscription à m r Couvai fat. Que dites vous de cet écervelé crocheteur, de cet Imposteur, de ce fripon, de ce forcené? S'il revient jamais ici M. C. la canne à la main lui aprendra à écrire. C'est une chose remarquable que la dernière affaire de son édition furtive de Paris lui a plus fait de tort dans les esprits, que tous ses autres crimes, quoique ce soit peutêtre le moindre de tous. M. de Maurepas, et tous les grands, qui étoient encore de ses amis, pour cette fois l'abandonnent, et disent tout haut que c'est un coquin, une âme vile, un misérable.

Il ne vous a ménagé en rien dans son édition d'Amsterdam; je ne crois pas que vous deviez non plus le ménager. Ne manqués donc pas d'Insérer dans votre édition tous les jolis vers, qui marquent si bien V au coin de la folie et de la méchanceté. Il faut que la postérité qui verra les Invectives de V. voye en même tems quel étoit le caractére de ce coquin. N'oubliez pas les Amours voyant Arouet. L'Idole est aussi méprisée ici, que l'idolâtre. Celui ci s'est rendu encore bien ridicule par une réponse qu'il a Imprimée ici, de 30 pages, à toutes les objections faites en France contre le Neutonianisme. Le pauvre garçon a fait pitié à tout le monde. Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu un esprit si sot et si faux parmi les philosophes. C'est une ignorance risible jointe à une présomption extravagante. Il n'entend seulemt pas les premiers éléments des questions qu'il traite. Je crois que s'il sçavoit à quel point il est haï et méprisé, il pratiqueroit ce qu'il enseigne dans son apologie du suicide. On croit que comme il pourra se pendre quelque jour, il a voulu Justifier cette action d'avance. Cependant il n'en est pas moins trainable sur la Claye pour un écrit aussi mauvais, qu'il a le front de mettre sous son nom. Voilà peutêtre le sujet d'une épigramme; Que sçait on, si à force d'être Lardonné, berné, conspué, il ne s'humiliera point. En ce cas c'est travailler à sa conversion et à son salut.

Parlez moi, je vous prie, de votre santé. Qui s'y intéresse plus que moi? Mangez peu, purgez vous régulièremt avec un peu de saignées, buvez de l'eau, peu de vin. Ne dormez jamais après le diner. Ne soupez point: et promenez vous après vos repas. Voilà ce que je pratique et ce que je vous recommande. Durez, soyez gai, bannissez tout ce qui afflige, et remplissez vous l'Imaginaon d'idées agréables. Je voudrois vous procurer L'Immortalité et à moi aussi. Je vous adore comme un Immortel, et personne ne vous aime plus que moi, qui suis et serai toujours avec une tendresse extrême votre serviteur et ami

Desfontaines

Je vous souhaite d'avance une heureuse année mon che[r ami]. Je serai désormais plus régulier dans mon charmant commerce avec [vous].