[20 or 22] juin 1736
. . . Je voudrais de tout mon cœur que vous eussiez vu ce que Voltaire a fait imprimer contre moi.
Rien n'est plus propre à me concilier l'estime et l'amitié des hommes les plus indifférents. Un amas d'injures de crocheteur et pas un mot qui porte coup. Ce faquin là veut faire toute sorte de métier et n'en sait aucun. Un de mes amis m'écrivit de Hollande pour savoir d'où venait son inimitié contre moi. Je lui en ai rendu compte dans une réponse que je lui ai faite, et, sans y articuler un seul fait dont je n'aie la preuve en main ni sans y parler un autre langage que celui des honnêtes gens, on a trouvé que mon homme y était étrillé comme il le mérite et mon ami m'a demandé permission de la faire imprimer dans la Bibliothèque française qui se distribue tous les mois en Hollande chez Du Sauzet, à quoi j'ai consenti. En sorte que si le mois de juin vous tombe entre les mains, vous verrez si le public a eu tort ou raison de prendre mon parti. Ce qui vous fera rire, c'est que mme de Lanoy, avec qui il a fait connaissance en Lorraine lui a donné des adresses à Bruxelles pour y envoyer d'autres libelles anonymes et manuscrits encore plus emporté que ses imprimés, et que malheureusement elle n'a pu s'empêcher d'en faire confidence en secret à cinq ou six personnes, en sorte que la chose est devenue le secret de la comédie et que tout le monde en parle à Bruxelles avec le même mépris pour l'une que pour l'autre, ce qui n'a pas laissé de lui mettre un peu la puce à l'oreille et m'a attiré de sa part un redoublement de caresses et de civilités, à quoi j'ai répondu le plus bénignement du monde. Elle attendait le départ du régiment de Portugal pour retourner en Lorraine, où elle va se consoler avec les muses des petits dégoûts qu'elle a eus à Bruxelles; car il faut que vous sachiez que Voltaire l'a initiée dans le bel esprit, et elle confiait il y a quelques temps à la petite Cardos qu'il ne s'en fallait presque rien qu'elle ne sût faire des vers et qu'elle avait des pensées qui seraient charmantes si elles étaient versifiées. A quoi la petite lui répondit: 'Hé! madame, mettez les en prose!' Vous voyez que je finis ma lettre comme les comédiens finissent leurs représentations, par une farce après la grande pièce . . . .