à Bayreuth le 28e avril 1748
… Je sçavois que Voltaire étoit a Luneville avec mde Duchatelet; et que cette dernière avoit joué Issé, et faisoit faire au Roy mille dépenses pour Les fantaisies; j'en suis charmé; et l'on pourra dire un jour que la Lorraine a eû un Salomon, qui a répandu les plaisirs sur sa vieillesse; j'aime mieux La fin d'un tel règne que le commencement.
Mde Duchatelet me rapelle la Reine de Saba; et les autres dames de Compagnies ressemblent assez aux Princesses moabites, ammonites, &c. que vendirent le fils de David, le précurseur d'Epicure. Toutes ces femmes là valloient assurément mieux que les Juives qui n'avoient pour touts charmes qu'une sagesse triste et rebutante; De toutes Les femmes que Salomon eut jeune, il n'y a que la fille du Roy d'Egipte qui me plaise à cause qu'elle a inspiré le cantique des cantiques; si le Roi vouloit me faire plaisir, il en feroit un du même goût pour madame de Boufflers, elle en vaut bien la peine à tous égards.
Je veux du mal à mde Duchatelet du peu de bien qu'elle veut à mde de Graffigni; cependant je pense que ce n'est pas un petit lustre, pour celle cy, que l'inimitié de celle-là; il n'y a que les petits ennemis que déshonorent; les grands supposent toujours un mérite supérieur.
Me voicy enfin à l'article de votre héros et du mien, à l'article de Voltaire, qui m'est encore plus cher et que je trouve plus admirable par l'amitié et la juste estime qu'il a pour vous. Assurez le de mes respects, et de ma reconnoissance pour toutes les bontés qu'il me témoigne en Hollande. Vous lui avez parlé de moi; grand mercy; il s'en est souvenu comme de l'auteur de la présomption punie1; ce n'est pas moi; J'en serois bien fâché; mais faites qu'il s'en souvienne comme de celui qui l'a souvent vû chez mr de Podewils, envoyé du Roi de Prusse; à qui il a addressé des vers en réponse de ceux que je lui avois donné; de qui il reçut à Berlin une lettre en vers pour l'engager à me placer dans cette cour; à qui il répondit de Brunsvvic en revenant à la Haye; pour qui il s'est intéressé à Paris àfin de le placer; qui a défendu dans une brochure ses vers à mr de Haven, et aux princesses de Prusse, ridiculisés dans des parodies; Enfin comme d'un nommé Uriot qui jouoit la comédie à la Haye, où il avoit quelque réputation pour un ouvrage sur la chronologie et un autre sur la géographie, les moeurs, les arts, et le génie des anciens; peutêtre me remettra-t-il, et recevra t-il avec bonté les assurances du plus profond respect, de la plus vive reconnoissance, et de la plus sincère admiration; S. A. R. à qui il a écrit quelquefois m'a souvent parlé de lui, jugez si j'ay eû du plaisir à rendre justice au plus grand homme de notre tems surtout le connoissans si bien.