ce 12 [November 1739]
Je reçois votre lettre du io mon cher abbé.
J'avois mal datté les miennes parce que je me servois habilement d'un almanac de l'année passée.
1º à L'égard du sr Couvay j'ay compté que je serois payé icy, en luy faisant signifier à Paris désistement de tout procez. Si ce monsieur chicane après cela je renverray la lettre, que vous ferez payer.
2º à L'égard de la lotterie de l'hôtel de ville je croi que j'ay soixante et dix billets, et je ne pense pas être en état d'en prendre davantage. Vous aurez du reste de quoy remplir les mises en argent. D'ailleurs nous avons du temps. Je vous prie seulement de me mander si cette opération prend toujours faveur dans le public.
3º je vous prie d'envoyer prier Praut fils de passer chez vous et de luy dire que je vous ay suplié de luy chercher sur le champ tout le plus d'argent que faire se pouroit, mais que vous n'en avez pas encor pu trouver. Sachez de luy s'il est vray qu'on luy ait saisi un petit programme de l'histoire du siècle de Louis 14, et quelques autres livres, comment cela s'est fait et pourquoy, et s'il est vray qu'on les luy ait rendus.
En cas qu'on les luy ait rendus, et qu'il ne soit ny dans le besoin ny dans la peine, il ne faut luy rien donner, mais s'il est vray qu'on ait fait cette saisie et qu'il soit réellement pressé, (ce que vous pourez savoir aisément par d'autres), en ce cas je vous prie de luy compter 500lt, dont il vous donnera son reçu: J'ay reçu de M r de V. par les mains de m. la somme de 500 lt pour fournitures à luy faites en attendant que le mémoire que j'ay remis à M. Moussinot soit arrêté.
Vous aurez la bonté d'exiger de luy qu'il vous rende générallement toutes les lettres et papiers qu'il pouroit avoir à moy, aucune n'étant créance.
4º il est très certain que je vais travailler à retirer les 3 caisses de Bruxelles, mais il est aussi très certain que c'est de tout point une malheureuse affaire. Collens est pauvre, dérangé, voluptueux et inapliqué. Vous ne reverrez jamais un sou de tout ce qui luy a passé par les mains. Il faut absolument finir avec luy, mais il n'y a que vous au monde qui le puissiez. Il faut luy donner un rendez vous, le chercher, le trouver, ne le point quitter que vous n'ayez signé avec luy un compromis. Il reste icy environ pour 1800 florins de tablaux sur le pied de l'achat. Il en a emporté environ autant. Il faut donc proposer qu'il vous abandonne en entier la perte et le gain de ces trois caisses. Cela est d'autant plus juste qu'en ce cas si nous payons encor pour la taxe 1000lt florins notre part nous reviendra à 2800 florins. Il vous devroit même une indemnité.
Il y a une seconde proposition à luy faire, c'est qu'il vous compte à Paris 1800 florins et qu'il prenne le tout pour luy. Nous y perdrons, mais il vaut mieux s'en tirer ainsi que de s'embourber davantage.
Ne le quittez pas qu'il n'ait pris un de ces partis, car je prévois dépuis longtemps un procez. Il voudra me faire payer sa fausse déclaration. En vain il a avoué devant un avocat de Bruxelles que c'étoit sa faute, en vain l'a t'il avoué devant me du Chastelet. Je sçais qu'on L'excite à me poursuivre; ainsi il se trouveroit que j'aurois prêté plus de 1600 florins et que j'aurois un procez au bout. C'est la circomstance où je suis avec luy qui me met entièrement hors d'état de luy rien proposer. C'est à vous mon cher abbé à consommer cette affaire. Je vous en prie très instament. Eh bien j'auray perdu les frais de votre voiage, le mal est médiocre, et le plaisir de vous voir ne peut pas être trop payé. D'ailleurs il y a des occasions où il faut savoir perdre.
Je vous embrasse du meilleur de mon âme.