1761-11-17, de François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis à Voltaire [François Marie Arouet].

J'attends avec la plus grande impatience, mon cher confrère, cette tragédie faite en six jours et que vous trouvés si digne du sacré collège.
Je répondrois du succès de cet ouvrage précisément parce qu'il a esté achevé en même temps que projetté; cela prouve que le sujet est heureux et bien choisi; cet avantage supplée souvent à tout et n'est suppléé par rien; d'ailleurs on sait qu'il vous faut moins de temps qu'à un autre pour bien faire. J'ay lu avec grand plaisir votre épitre sur l'agriculture, ce n'est pas qu'il y soit fort question d'agriculture; mais dans ces sortes d'ouvrages il est bon d'imiter Montagne qui laisse aller son imagination sans se soucier du titre que porte le chapitre qu'il traite; malgré les beaux éxemples que vous me cités je n'irai point au temple d'Epidaure; je le regreterai moins que Les Délices, car j'ay plus besoin de la conversation d'un homme d'esprit que des conseils du meilleur médecin de L'Europe. Vos ducs, princes et femmes dévotes ont encore moins de ménagements à garder qu'un ancien ministre. Le duc de Villars s'est embarqué sur le Rhosne et n'a point passé à Montelimar. J'admire votre fécondité et la jeunesse de votre esprit; cela prouve (outre le grand talent) une bonne santé; lorsque le corps souffre l'esprit est bien malade. Conservés longtemps votre gayeté, votre santé en sera plus ferme, vos ouvrages en seront plus piquants et plus aimables. Il est inutile que je vous assure que je ne prendrai, ni ne laisserai prendre de copie de votre tragédie. Adieu, mon cher confrère, je vous aime presque autant que je vous admire.