le 23 aoust 1733
J'ay tardé trop longtemps, mon charmant amy, à exécuter Les ordres d'Emilie, mais je vous avoueray que voulant m y soumettre à la lettre et n'osant tirer copie des beaux vers que vous m'avés envoyés de sa part j'ay cru ne pas luy déplaire de les aprendre par coeur.
Vos vers sont bien faits et heureusement pensés comme tous ceux qui viennent de vous, mais je sens bien qu'ils ne sont pas d'Espèce à estre montrés. Le trait de Panther, vous feroit des affaires quoyqu'imprimé dans un livre qui est dans les mains de tout le monde. Rousseau est bien tapé, c'est une vieille idole bien décrédité depuis sa transmigration chés les Barbares mais c'est encore une idole.
Et vostre Temple s’élève et s'enrichit tous les jours.
Vous faites trop d'honneur au pauvre L’[aunay], gardés vous bien d'insérer son vilain nom dans vos beaux vers, ce seroit de gayeté de coeur le transmettre à la Postérité. Aureste mon cher amy je vous suplie de ne donner ces vers à Personne, ne fournissés point de prétexte à la jalousie qu'on a contre vous, forcés les hommes à vous aimer malgré vostre Elévation. Je ne vous propose pas là une chose indigne de vostre ambition.
Ainsi donc ne l'irrités point. Portés vous bien. Voilà vostre première affaire et la plus intéressante pour moy. Faites des vers pour nous et nos neveux mais, mais sûr d'estre admiré dans la postérité goûtés le plaisir d'estre aimé des hommes avec qui vous vivés. Je pars avant quinze jours pour la campagne, où je vais vous invoquer pour achever mon allégorie. Adieu. Envoyés moy vos pièces fugitives et Adélaide et vostre opéra par le coche si J. ne revient pas dans ce temps; j'espère que vous voudrés bien lire ces vers à Emilie, c'est dans vostre bouche sonore qu'il peuvent prendre ce ton harmonieux qui seul les fera valoir. Adorés La, vous qui La voyés face à face.