1733-08-23, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont.

J'ay tardé trop longtemps, mon charmant amy, à exécuter Les ordres d'Emilie, mais je vous avoueray que voulant m y soumettre à la lettre et n'osant tirer copie des beaux vers que vous m'avés envoyés de sa part j'ay cru ne pas luy déplaire de les aprendre par coeur.

Ainsy souvent selon nos voeux
Nous osons expliquer Les volontés des Dieux.

Vos vers sont bien faits et heureusement pensés comme tous ceux qui viennent de vous, mais je sens bien qu'ils ne sont pas d'Espèce à estre montrés. Le trait de Panther, vous feroit des affaires quoyqu'imprimé dans un livre qui est dans les mains de tout le monde. Rousseau est bien tapé, c'est une vieille idole bien décrédité depuis sa transmigration chés les Barbares mais c'est encore une idole.

Et vostre Temple s’élève et s'enrichit tous les jours.

De ce Temple Elevé par vostre main sacrée
Vous n'aurés plus qu'un pas à faire à l'empirée.

Vous faites trop d'honneur au pauvre L’[aunay], gardés vous bien d'insérer son vilain nom dans vos beaux vers, ce seroit de gayeté de coeur le transmettre à la Postérité. Aureste mon cher amy je vous suplie de ne donner ces vers à Personne, ne fournissés point de prétexte à la jalousie qu'on a contre vous, forcés les hommes à vous aimer malgré vostre Elévation. Je ne vous propose pas là une chose indigne de vostre ambition.

On voit d'abord ramper l'Envie en de bas lieux
Et son séjour obscur est le vallon du Pinde,
Mais sur l'aisle d'autruy cette insecte se guinde
Et peut dans son couroux monter jusques aux cieux.

Ainsi donc ne l'irrités point. Portés vous bien. Voilà vostre première affaire et la plus intéressante pour moy. Faites des vers pour nous et nos neveux mais, mais sûr d'estre admiré dans la postérité goûtés le plaisir d'estre aimé des hommes avec qui vous vivés. Je pars avant quinze jours pour la campagne, où je vais vous invoquer pour achever mon allégorie. Adieu. Envoyés moy vos pièces fugitives et Adélaide et vostre opéra par le coche si J. ne revient pas dans ce temps; j'espère que vous voudrés bien lire ces vers à Emilie, c'est dans vostre bouche sonore qu'il peuvent prendre ce ton harmonieux qui seul les fera valoir. Adorés La, vous qui La voyés face à face.

Remerciment à Emilie
En daignant m'acorder par les mains de Voltaire
De lire ces beaux vers réservés pour vos yeux,
Vous prouvés qu'un encens Vulgaire
Peut arriver jusques aux Dieux.
Mais qui donc estes vous d'entre eux? . . .
Vous qui réunissés ce qu'en tous on honore,
Estre bon et charmant, et qu'inconnu j'adore,
Rassemblés aussi tous mes voeux.
Les grâces, les vertus qu'on plaça dans les cieux,
Aimables fictions que la fable décore,
Sont vos simboliques portraits.
Vostre Esprit est Minerve, et vostre teint l'Aurore.
En réclamant le dieu qui préside aux bienfaits
C'est vostre douceur qu'on implore. . . .
A la ferveur qui me dévore
Je sens qu'en adorant Venus en vos attraits
Emilie, on doit bien la plus aimer encore.