1761-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'envoie aux philosophes le seul exemplaire que j'aie du Procès du théâtre anglais, seul procès que nous puissions gagner aujourd'hui contre messieurs d'Albion.
Monsieur Damilaville ou monsieur Thiriot doit avoir la lettre de m. le duc de la Valliere et la réponse; m. le duc de la Valliere a lu cette réponse à madame de Pompadour, à m. le duc de Choiseul et en ont été très contents, et il mande qu'il faut sur le champ l'imprimer.

Il y a bien longtemps qu'on n'a reçu de nouvelles de monsieur Thiriot.

Les Anglais nous font bien du mal au dehors, et la superstition au dedans. Ne mettra-t-on point ordre à tout cela? Les échos de nos montagnes nous disent que Belleisle est pris; c'est le dernier coup porté à notre commerce maritime: il faut songer à cultiver la terre.

Prault petit fils est un petit sot. Il a imprimé l'Appel aux nations avec autant de fautes qu'il y a de lignes. Que m. Thiriot ne s'expliquait il? Je lui aurais envoyé depuis deux ans de quoi faire un honnête pécule en rogatons.

Vous me trouverez un peu de mauvaise humeur; mais comment voulez vous que je ne sois pas outré? Je bâtis un joli théâtre à Ferney, et il se trouve un Jean Jaques dans un village de France qui se ligue avec deux coquins de prêtres calvinistes pour empêcher un bon acteur de jouer chez moi. Jean Jaques prétend qu'il ne convient pas à la dignité d'un horloger de Genève de jouer Cinna chez moi avec mlle Corneille. Le polisson! Le polisson! S'il vient au pays, je le ferai mettre dans un tonneau avec la moitié d'un manteau sur son vilain petit corps à bonnes fortunes.

Pardonnez à ma colère, monsieur, vous qui n'aimez point les enthousiastes hypocrites.

V.