20 avril [1761] à Ferney
Je me hâte de vous répondre (mon grand calculateur de petite vérole, plein d'esprit et de génie, et antipode des calculateurs) que diligo adhuc Ciceronium Olivetum quia optimus grammaticus, quia il fut mon maitre et qu'il me donnait des claques sur le cu quand j'avais quatorze ans.
Je ne dirai pas qu'il en a menti, mais il a dit la chose qui n'est pas. Qu'il vous montre ma lettre s'il l'ose. Certainement votre nom n'y est pas. Il peut avoir quelque finesse, ayant été jésuitte, il a voulu se jouer de votre vivacité parisienne, et vous arracher votre secret. Vous avez peutêtre donné dans le panneau. Soyez très sûr que je ne vous compromettrai jamais, et que vous pouvez donner l'essor avec moy à votre très plaisante imagination en toutte sûreté.
Vous me paraissez bien honnête de dire qu'un homme de trente ans peut en espérer trente autres. La vie commune ne s'étend qu'à vingt deux ans sur la masse totale. Je n'ay pas encor bien examiné votre compte, je vais vous relire. A Paris on ne relit point. Vive la campagne, où le temps est à nous. En général je vois que vous en savez plus que notre sourdaut.
Je vous remercie de votre bon mari. Il faut avouer que la reine est bien bonne, et que si elle était la maitresse, nous aurions un siècle bien éclairé.
Je vous donne mon blanc seing pour ma place à l'académie à La première fantaisie que vous aurez de résigner. Cela sera assez plaisant; et c'est une facétie qu'il ne faut pas manquer. Faittes la lettre de remerciment, et je vous réponds de la signer.
A l'égard de Jean Jaques, s'il n'était qu'un inconséquent, un petit bout d'homme pétri de vanité, il n'y aurait pas grand mal. Mais qu'il ait ajouté à l'impertinence de sa lettre l'infamie de caballer du fonds de son village avec des pédants sociniens pour m'empêcher d'avoir un téâtre à Tourney, ou du moins pour empêcher ses concitoiens qu'il ne connait pas, de jouer avec moy; qu'il ait voulu par cette indigne manœuvre se préparer un retour triomphant dans ses rues basses; c'est l'action d'un coquin, et je ne luy pardonnerai jamais. J'aurais tâché de me vanger de Platon, s'il m'avait joué un pareil tour: à plus forte raison, du laquais de Diogene. Je n'aime ny ses ouvrages ny sa personne; et son procédé est haissable. L'auteur de la nouvelle Aloisia n'est qu'un polisson malfaisant. Que les philosophes véritables fassent une confrairie comme les francs massons, qu'ils s'assemblent, qu'ils se soutiennent, qu'ils soient fidèles à la confrairie, et alors je me fais brûler pour eux. Cette académie secrette vaudrait mieux que l'académie d'Athenes, et touttes celles de Paris. Mais chacun ne songe qu'à soy, et on oublie le premier des devoirs qui est d'anéantir l'infâme.
Je vous prie mon grand philosophe de dire à madame du Deffant combien je luy suis attaché; je luy écrirai quelque jour une énorme lettre. J'aime à penser avec elle. Je voudrais y souper. Je l'aime d'autant plus que j'ay les sots en horreur. Mes compliments à l'abbé Trublet; j'attends sa harangue avec L'impatience du parterre qui a des siflets en poche, et qui ne voit pas lever la toile.
Apropos haïssez vous toujours mr de Chimene ou Ximenes? Il vient d'acheter une maison, des prez, des vignes et des champs dans le pays de Gex. Voylà le fruit apparemment de l'épitre sur l'agriculture.
Je suis devenu un malin vieillard. Il y a longtemps que j'ay fait la capilotade. C'est un chant qui entre dans la pucelle. Il y aura toujours place pour les personnes que vous me recommanderez. J'ay soufert quarante ans les outrages des bigots et des polissons. J'ay vu qu'il n'y avait rien à gagner à être modéré; et que c'est une duperie. Il faut faire la guerre et mourir noblement
riez, et aimez moy. Confondez l'infâme le plus que vous pourez.
Nb. J'ay lu le mémoire contre les jésuittes banqueroutiers. L'avocat a raison: aucun jésuitte ne peut traitter sans engager ses supérieurs. Quand je les ai chassez d'un domaine qu'ils avaient usurpé, il a fallu que le provincial signast le désistement. Mais je les ai chassez sans bruit, je n'ay eu que la moitié du plaisir.
V.