1761-04-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Plus anges que jamais, et moi plus endiablé.
La tête me tourne de ma création de Ferney. Je tiens une terre à gouverner pire qu'un royaume, car un ministre n'a qu'à ordonner, et le pauvre campagnard des alpes est obligé de faire tout lui même. Il n'a jamais de loisir; et il en faut pour penser. Ainsi donc mes anges vous pardonnerez à ma tête épuisée.

1. Oreste se recommande à vos divines ailes. Ma mère en fait autant est le commencement d'une chanson plutôt que d'un vers tragique, quelquefois un misérable hémistiche coûte.

Il a montré pour nous l'amitié la plus tendre
Il révérait mon père; il pleurait sur sa cendre.

ELECTRE

Et ma mère l'invoque! ainsi donc les mortels
Se baignent dans le sang, et tremblent aux autels.

Voilà je crois la sottise amendée.

La sottise des anecdotes de Freron est d'un la Harpe, jadis son complice, aujourd'hui domestique de mr le duc de la Valiere. Tiriot me les a envoyées. Je vous en ai fait part, mais c'est cela n'est bon que pour vos laquais et pour les cafés.

Votre père présidente est une bigote insolente, et son frère un fripon. Mais il faut être poli.

Il est plaisant que Bernard m'ait volé, et que je n'ose pas le dire, mais Leriche vaut mieux, et grâces vous soient rendues. Le produit net des 173 journaux est fort plaisant, et plus honnête, mais savez vous bien que vous faites Jean Jaques un très grand seigneur? Vous lui donnez là cent mille écus de rente. La compagnie des Indes sans le tabac ne pourrait en donner autant à ses actionnaires; vous êtes généreux mes anges.

J'ai une curiosité extrême de savoir si made de Pompadour et m. le duc de Choiseul ont reçu leur exemplaire de Praut.

Autre curiosité de savoir si on joue la seconde scène du second acte de Tancrede comme elle est imprimée dans l'édition Crammer, et comme elle ne l'est pas dans l'édition de ce Praut. Je vous conjure de me dire la vérité. Je trouve la façon Crammer, plus attachante, plus théâtrale, plus favorable à de bons acteurs. Ai je tort?

Le Kain ne m'a point écrit.

Si vous étiez des anges sans préjugés vous verriez que le droit du seigneur n'est pas à dédaigner, que le fond en était bon, que la forme y a été mise à la fin, qu'il n'y a pas une de vos critiques dont on n'ait profité, que la pièce est tout le contraire de ce que vous avez vu. En un mot je vous conjure de la laisser passer sous le masque en son temps.

Il faut un autre amant à Fanime. Je lui en fournirai un. Mais le czar m'attend, et l'histoire générale se réimprime augmentée de moitié; et la journée n'a que vingt quatre heures, et je ne suis pas de fer.

Je n'ai point la nouvelle reconnaissance d'Oreste et d'Electre. Daignez me l'envoyer; ou j'en ferai une autre. Je suis entouré de vers, de prose, de comptes d'ouvriers. Je ne peux me reconnaître. Il est très vrai qu'il s'agit d'un mariage pour melle Corneille, et que l'emploi de valets de poste a arrêté le soupirant. Voilà ce qu'a produit Fréron! et on protège cet homme!

Le Brun est un bavard. Il m'avait insinué dans ses premières lettres que je ne devais pas laisser melle Corneille dans l'indigence après ma mort. Je lui ai mandé que j'avais fait là dessus mon devoir. Il l'a dit, et il a tort.

Que voulez vous donc de plus terrible, de plus affreux à la mort de Clitemnestre, que de l'entendre crier? Il n'y a point là de beaux vers à faire. C'est le spectacle qui parle, et ce qu'on dit en pareil cas, affaiblit ce qu'on fait.

Mais songez que Térée et Oreste tout de suite, . . . . voilà bien du grec, voilà bien de l'horreur; il faut laisser respirer; je voudrais une petite comédie entre ces deux atrocités pour le bien du tripot.

Daignerez vous répondre à tous mes points? Je n'en peux plus. Mais je vous adore.

V.

Pour dieu dites moi si vous ne trouvez pas le mémoire contre les jésuites bien fort, et bien concluant? Comment s'en tireront ils? Je les ai fait plier tout d'un coup sans mémoire; je les ai fait sortir d'un domaine qu'ils usurpaient. Ils n'ont pas osé plaider contre moi, mais il ne s'agissait que de 160000lt. Quand pourrai je voir, disait un homme assez dur, les jésuites étranglés avec des boyaux de jansénistes?