Monsieur,
Je devrais être doublement charmé de cette vive impatience avec la quelle Vous souhaités de continuer Vôtre grand ouvrage; d'un côté elle me prouve Vôtre Zèle pour la gloire de mon païs, de l'autre elle me procure plus souvent de Vos nouvelles; si je ne craignais de mettre Vôtre patience à bout, je ne travaillerais pas à toute force comme je fais, pour amasser les mémoires en question, dont je Vous envoye une partie.
Selon toute apparence, le jeune home que je Vous ai expédié au mois de May, a essuyé quelque Catastrophe, je crains que ce ne soit pas son imprudence. Je viens de recevoir Vôtre lettre du 15e de Novembre; on ne saurait être plus reconnaissant, Monsieur, que je le suis des Compliments que Vous faites, à nos Trouppes; Leur conduite à Berlin, devrait réfuter les mauvais propos du Gazettier, et des autheurs des libelles contre ma Nation; J'appréhende fort, qu'on ne soit forcé de les vérifier un jour, du moins en partie, sur un Royaume qui est entre nos mains, mais les sentimens de mon Auguste Souveraine, sont trop connus, pour oser soupçonner qu'elle veuille jamais user de représailles.
Je reçois un Exemplaire de Hambourg, sans lettre, je crois que c'est de mon libraire; ceux que Vous m'avés fait l'honneur de m'envoyer, ne me sont pas encore parvenus. J'ose vous prier avec cette confiance que Vos bontés et Vôtre amitié authorisent, de faire dans une nouvelle édition, les changements suivants. Premièrement d'ajouter dans le Titre, par Monsieur de Voltaire, secondement, de rétrancher quelque bonne partie de l'éloge que Vous me faites dans la préface. Le mot de Czar, non pas Tsar, come les étrangers l'écrivent, signifie dans tous nos anciens livres de prières esclavons Roi, et vraisemblablement ne dérive pas de Tchachs. Quant aux autres remarques, je m'en remets entièrement à Vos lumières et à Vôtre amitié. Vous ferés en sorte que le grand Autheur, et son Traducteur ou Copiste de Manuscrit, surtout ce dernier ne soyent pas exposés aux traits de la Critique, le prémier les ferait rétomber sur ses ennemis, mais l'autre serait obligé d'y succomber.
Pour suivre l'usage, je devrais ici Monsieur Vous faire des compliments à l'occasion de la nouvelle année, mais comme les souhaits que je forme pour Vous sont toujours les mêmes, je me borne à Vous assurer que je suis éternellement avec les sentimens que je Vous ai voüés
Monsieur,
Vôtre très humble et très obéissant serviteur.
I. Schouvallow
St Petersbourg ce 4 [15 n. s. ] Janvier 1761