à Paris 9 avril [1765]
Vous avez dû, mon cher & illustre maitre, recevoir il y a peu de jours par frère Damilaville un excellent manuscrit pour justifier la gazette littéraire des imputations ridicules des fanatiques; l'auteur, qui ne veut point être connu, vous prie de faire parvenir à l'imprimeur cette petite correction-ci, qu'il faudra mettre dans l'errata, si par hazard cet endroit étoit déjà imprimé.
J'espère qu'on ne fera pas la même faute pour cet ouvrage qu'on a faite pour le mien, d'en envoyer deux ou trois exemplaires extravasés à Paris, avant que le tout soit arrivé; cette imprudence est cause que la canaille jansenienne et jesuitique a crié d'avance contre la destruction, et que la publication en est suspendue par ordre du magistrat, quoi que tous les gens sages qui l'ont lu, trouvent l'ouvrage impartial, sage, et utile. Tout ce que j'appréhende, c'est que pendant tous ces délais on n'en fasse une édition furtive, qui pourroit lezer mr Cramer; ce ne sera pas la faute de l'auteur, mais il faut espérer que ceci servira d'avis pour une autre fois. J'attends que cette affaire soit finie pour en entamer une autre; mais il faudra désormais être plus précautionné contre l'inquisition.
Je viens de recevoir de votre ancien disciple une lettre charmante. Il me mande qu'il attend Helvetius, qui doit être arrivé actuellement; j'espère qu'il sera bien reçu, et que l'infâme aura encore ce petit désagrément; j'ai vu des additions au dictionnaire Philosophique qui m'ont fait beaucoup de plaisir; la dispute sur le chien de Tobie, barbet ou lévrier, m'a extrêmement diverti, sans parler du reste.
On dit que les ministres de Neufchatel ne veullent plus de Jean Jaques, et que votre ancien disciple n'aura pas le crédit de l'y faire rester malgré cette canaille. Je me souviens qu'il y a 4 ans il fut obligé d'abandonner un pauvre diable qui avoit prêché contre les peines éternelles, et que le consistoire avoit chassé. Le R. d. P. écrivit à Milord Maréchal: puisque ces bougres là veulent être damnés éternellement, dites leur que je ne m'y oppose pas; que le diable les emporte, et qu'il les garde. Au fond, le pauvre Jean Jaques est fou; Il y a 5 ou 6 ans qu'il mettoit Geneve à côté de Sparte, et aujourd'hui il en fait une caverne de voleurs; il faudrait pour toute réponse faire imprimer l'éloge à côté de la satyre, et y mettre pour épigraphe ce vers de je ne sais quelle comédie:
Adieu, mon illustre et respectable maître; on peut dire de ce monde comme Petit Jean dans les Plaideurs: