A Versailles, ce 2 août [September] 1760
Je suis assez heureux pour ne haïr aucune nation et fort peu d'hommes en particulier, même de ceux qui ont cherché à me faire du mal.
En revanche, j'aime à la passion de rendre service; tout cela me prouve que je n'étais pas fait pour être ministre. Je finirai l'éloge de mon cœur en vous disant que je suis très aise de pouvoir être utile à vos malades de Genève; au surplus, ce m. Campbell m'a écrit une lettre qui me plaît infiniment et qui m'intéresse à sa santé. Vous aurez la bonté, mon cher solitaire, de lui remettre le paquet ci-joint où il trouvera ce qu'il désire. Je voudrais pouvoir aller passer mon hiver à Tours avec lui, car, depuis que j'ai été à Rome, les vilains climats me sont insupportables, et les climats de cour sont de tous les climats les plus vilains.
On joue demain Tancrède; c'est un jour de bataille pour d'Argental, il m'a paru ce matin avoir plus de confiance dans les talents de son armée que le maréchal de Daun ne nous en montre; je crois qu'il a raison et que, du moins dans cette partie, nous aurons du succès; j'irai vous applaudir la semaine prochaine, ce qui ne me sera pas difficile, car je vous applaudis tous les jours de ma vie sans aller à la comédie.
Je n'entends plus parler de Luc; il a quelques succès, qui n'empêcheront pas qu'il ne meure enragé comme il le mérite et comme je le souhaite; il me paraît que tout le monde est déterminé à faire la guerre encore l'année prochaine; il n'y a que moi qui me désole de cette ardeur guerrière, car je ne peux pas dire que l'appétit me vienne en mangeant; mais je prends patience; Luc est encore plus malheureux que moi.
Votre Lettre au Roi de Pologne, ma chère marmotte, je vais souper avec son chancelier et lui demander comment S. M. P. l'a trouvée. Je suis bien fâché de ne pas connaître le frère de Menou; je lui en aurais parlé. Vous êtes un drôle d'homme, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.